Tribune de la minorité

De la «Libération» à la guerre contre l'Irak, 60 ans de mensonges

Les flonflons du 60e anniversaire du débarquement des troupes américaines sur les plages de Normandie ne visaient pas, à l'évidence, que la commémoration d'un passé meurtrier marquant une étape décisive pour la fin de la seconde guerre mondiale. Bush, aujourd'hui empêtré dans le conflit irakien, avait besoin de cette mise en scène pour présenter les armées des USA comme les garants de toujours de la libération des peuples et les meilleurs champions de la «démocratie» dans le monde. Et c'est des gouvernements des autres puissances occidentales, en particulier européennes, qu'il voulait en obtenir la reconnaissance. Celle de Chirac -il avait pris la posture d'opposant à l'intervention en Irak et s'était permis de lui refuser jusque-là son aval- était donc pain béni pour l'actuel occupant de la Maison Blanche, lequel aimerait bien y rester quatre ans de plus, alors qu'il voit grandir avec inquiétude dans son pays l'hostilité de l'opinion à sa politique.

Dans la foulée de cette commémoration et des propos mielleux entre «alliés de toujours», la France de Chirac s'est engagée à voter la résolution américaine au Conseil de sécurité des Nations unies sur la prétendue souveraineté de l'Irak, et à donner mandat pour 12 mois à une force censée veiller au rétablissement de celle-ci. Une résolution ayant pour but de protéger un gouvernement fantoche tout en cautionnant la présence des forces américaines en Irak. On ne sait pas encore si la France y enverra des troupes, et si oui à quelles conditions, mais les marchandages ne sont pas terminés. De toutes façons c'est pour Bush une victoire politique. Quant à savoir si ça changera ou pas quelque chose sur le terrain, si moins de militaires américains vont y laisser leur peau, si les Irakiens accepteront dans la résignation une paix des vaincus, avec le vol de leurs richesses pétrolières et la mainmise sur l'essentiel de leur économie, c'est encore une autre affaire.

Dans l'opération «débarquement» de Bush, Chirac y retrouve aussi son compte. Fâcher des «alliés de toujours» comme la bourgeoisie américaine et ses dirigeants, peut momentanément dans les marchandages pour le partage du gâteau irakien avoir un intérêt pour les entreprises françaises, mais cela a aussi ses limites dès lors qu'il y a escalade et que la guéguerre économique se traduit par des mesures de rétorsion américaines en réponse. Et puis Chirac en a aussi profité pour se dresser sur ses ergots et se faire passer pour indispensable au rétablissement de l'ordre et de la paix impérialiste dans le monde, tout en faisant sa campagne électorale en chef de file des Européens. Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné...

Ceux qui ont manifesté contre la venue de Bush en France, n'étaient certes pas dupes de ce jeu, et on ne peut que se réjouir qu'ils aient été relativement nombreux, en particulier parmi les jeunes, à le montrer. Par contre, il n'est pas du tout sûr qu'ils aient une claire conscience de ce que fut l'intervention anglo-américaine et la politique de la bourgeoisie française dans la seconde guerre mondiale. La «Libération» d'il y a 60 ans est inséparable du caractère impérialiste de la seconde guerre mondiale. Celle-ci a commencé entre les bourgeoisies européennes, avec l'Allemagne sous la domination nazie d'un côté, revendiquant son «espace vital», c'est-à-dire un repartage du monde autre que celui imposé au lendemain de la première guerre mondiale par le traité de Versailles, et les bourgeoisies françaises et britanniques cramponnées à la défense de leurs marchés et de leurs empires coloniaux, dans lesquels régnait bien autre chose que la «démocratie». Ces dernières avaient laissé faire et même souhaité sinon favorisé la venue de Hitler au pouvoir. Pour elles c'était, face aux conséquences de la crise de 1929 et l'exacerbation tensions sociales, le meilleur rempart contre la révolution communiste. Qu'Hitler ait mis en camp de concentration les militants du mouvement ouvrier allemand, qu'il ait ensuite aidé Franco en Espagne à noyer dans le sang une révolution ouvrière, ne les avait pas conduits à lever le petit doigt pour lui barrer la route. Mais le pouvoir nazi en voulait davantage. Les impérialistes français et britannique, peu après avoir dans un premier temps pactisé avec lui dans «la Paix de Munich» et laissé mettre la main sur la Tchécoslovaquie, se lancèrent dans la confrontation militaire avec l'Allemagne quand elle envahit, conjointement avec les troupes de Staline, la Pologne. L'impérialisme américain, qui lui aussi avait des vues sur les marchés que se disputaient les bourgeoisies européennes et sur les chasses gardées coloniales de la France et de la Grande Bretagne, attendit, comme lors de la première guerre mondiale, que celles-ci s'épuisent dans la guerre avant d'intervenir quatre ans plus tard. Les dirigeants de la bourgeoisie américaine n'ignoraient rien des souffrances des classes populaires des pays occupés, victimes à la fois des rapines et des exactions des armées occupantes et de celles de leurs propres bourgeoisies. Ils n'ignoraient même pas, comme on l'a su plus tard, l'holocauste de la population juive.

Une autre libération du nazisme aurait été possible si les classes ouvrières des pays européens en guerre avaient fraternisé entre elles pour transformer celle-ci en guerre civile contre leur propre bourgeoisie. Mais il n'y eut pratiquement personne pour défendre cette politique. Et surtout pas les «Staliniens» lesquels, après avoir chanté les louanges du pacte germano-soviétique, à partir de l'attaque en 1941 de l'URSS par les troupes hitlériennes, rangèrent le mouvement ouvrier derrière les bourgeois nationalistes tels De Gaulle, jouant la carte des Anglo-américains plutôt que celle de l'Allemagne.

L'impérialisme américain dans son intervention en Europe, ne fit pas seulement bon marché de la vie de ses «boys», qui furent envoyés mourir par milliers sur les plages de la Manche, 20000 Normands périrent aussi sous les bombardements américains. Et par la suite bien d'autres dans les pays occupés. Et le peuple allemand, taxé en bloc de nazi, fut écrasé sous les décombres de ses villes, par les troupes de «libération».

Sur les ruines de l'économie européenne, le capital américain put ainsi prospérer et asseoir encore mieux sa domination. Telle est la réalité de l'idylle de la «Libération» que les horreurs de l'actuelle guerre d'Irak ne devraient pas nous faire oublier.

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