Argentine : Manifestation massive contre l'insécurité et la corruption de la police16/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1863.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Manifestation massive contre l'insécurité et la corruption de la police

Jeudi 1er avril, entre 130000 et 150000 personnes ont manifesté à Buenos Aires contre la montée de l'insécurité, la corruption en général et en particulier celle de la police. La manifestation avait été convoquée par le père d'un adolescent, Axel Blumberg, séquestré et assassiné d'une balle dans la tête par ses ravisseurs. L'enquête a montré, comme dans d'autres affaires de ce genre, qu'il y avait des complicités entre les ravisseurs et la police.

Depuis la chute de l'économie argentine, en décembre 2001, les chiffres sur l'insécurité montrent à la fois que les attaques de banque ont diminué mais qu'en revanche les enlèvements (avec demande de rançon) se sont multipliés: ils ont doublé depuis cette date.

La fin de la parité du dollar et du peso et la dévaluation de peso qui a suivi avaient constitué par elles-mêmes une sorte de hold-up général, mené par... les banques sur les économies des classes moyennes argentines. Les queues de clients ruinés devant les banques ont pu décourager les hold-ups. En revanche, on a assisté à une montée des prises d'otages avec demande de rançon, y compris dans les milieux populaires désargentés. On a vu parfois, dans des quartiers populaires où une famille était victime de l'enlèvement d'un de ses enfants, l'ensemble du quartier se cotiser pour tirer d'affaire l'adolescent. Mais, très souvent, ces affaires ont fini tragiquement par la mort du séquestré.

La population a été exaspérée par le fait que, à plusieurs reprises, les victimes ont découvert que la bande qui les séquestrait n'était pas de simples voyous mais des policiers du quartier.

La police argentine, et particulièrement celle de la province de Buenos Aires, où se concentre le tiers de la population du pays, est réputée pour sa corruption, qui est une sorte de seconde nature. Un film argentin, diffusé en France récemment, El Bonarense, en donnait un échantillon et montrait comment la jeune recrue, une fois passé le stage de formation, se retrouve immédiatement plongé dans la corruption, ramassant par exemple, pour son supérieur hiérarchique, les pots-de-vin que les trafiquants versent aux policiers pour ne pas être dérangés dans leurs activités.

La police argentine est également réputée pour sa violence. Elle s'est extériorisée pendant les années de dictature mais elle n'a pas cessé depuis. Plusieurs scandales en ont fait état depuis 1983. Ils vont de la disparition d'un photographe de presse un peu trop curieux à l'assassinat d'un élève laissé dans un commissariat par des enseignants, parce qu'il était indisposé pendant une excursion scolaire. Des policiers ont participé à un attentat contre une mutuelle juive, qui avait fait 85 morts et des centaines de blessés. Enfin, la répression contre les manifestations, notamment celles des chômeurs, a fait de nombreux morts et blessés. Au moment de l'assassinat de deux manifestants chômeurs en juin 2002 dans la banlieue proche de la capitale, les téléspectateurs avaient même pu voir, en direct, les policiers donner l'assaut, sans complexe, à un local du PC qui se trouvait à proximité.

La méthode même de l'enlèvement est, elle aussi, un leg de la dictature. Pendant ces années sombres, militaires et policiers avaient l'habitude d'enlever les opposants politiques pour les faire ensuite disparaître. Dans l'affaire Blumberg, qui a déclenché la manifestation du 1er avril, l'autopsie du cadavre du jeune homme a montré qu'il avait été torturé par ses ravisseurs. Son corps portait des traces de coups et ses ongles avaient été arrachés. Et les ravisseurs avaient des liens avec les policiers.

Le président argentin Nestor Kirchner a fait de la lutte contre l'impunité des tortionnaires un de ses chevaux de bataille, au moins en paroles. Il a donc promis de s'attaquer aussi à l'insécurité "quels que soient les intérêts en jeu". Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

Pour apaiser la colère de la population, le chef de la sécurité de la province de Buenos Aires a annoncé sa démission, tandis que le gouverneur de la province annonçait la mise en retraite de deux cents policiers. Mais il y a déjà eu de telles purges dans la police sans que cela change d'un iota ses comportements.

En réponse à tous ceux qui exigent un renforcement des lois répressives, le gouvernement a annoncé la création d'une nouvelle "police métropolitaine" qui interviendrait dans une trentaine de municipalités de la province de Buenos Aires, y compris la capitale. Elle serait plus particulièrement chargée des enlèvements et des trafics de drogues. Mais le renforcement de l'appareil répressif, au lieu de mettre fin à l'insécurité comme l'espère la population, pourrait bien engendrer un résultat contraire, du fait même que violence et corruption sont dans la nature de l'appareil d'État.

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