Transport aérien : Sécurité sacrifiée, profits assurés22/01/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/01/une1851.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Transport aérien : Sécurité sacrifiée, profits assurés

Le ministre des Transports, Gilles de Robien, a annoncé son intention de créer un "label de sécurité" pour les compagnies de charters. Face à l'émotion suscitée par les 148 victimes de la catastrophe de Charm-el-Cheikh, il lui fallait bien donner l'impression de faire quelque chose.

Il a également demandé aux tour-opérateurs d'indiquer à leurs clients la compagnie aérienne sur laquelle ils voleront. Mais même pour une mesure aussi insignifiante, qui consiste simplement à daigner dire ce que l'on vend, le ministre a pris des gants puisque la mesure n'est prévue que pour 2007. Et si jamais elle entre vraiment en application, elle ne permettra en rien de rassurer davantage le client, tant est grande l'opacité dans le monde du tourisme et du transport aérien.

Quelle indication cela aurait-il donnée aux passagers s'ils avaient su être transportés par un avion appartenant à une société égyptienne s'appelant "Flash Airlines"?

Ce que l'on sait aujourd'hui du pedigree du Boeing accidenté est édifiant. Pendant onze années, cet appareil a été exploité par sept compagnies aériennes. Il appartenait en fait à une société californienne de location d'avions, ILFC. Les six premières années, celle-ci l'a loué à une compagnie salvadorienne. Il a volé ensuite deux ans pour une compagnie norvégienne qui a fait faillite en février 2000. Pendant les quatre dernières années, l'appareil a fait la navette entre la compagnie égyptienne Flash Airlines, une société turque à laquelle Flash Airlines l'avait sous-loué, et son propriétaire californien ILFC sous les couleurs duquel il volait entre deux locations. Rien d'étonnant alors à ce que la sécurité et l'entretien aient été négligés, chaque compagnie ayant avant tout comme objectif la recherche des meilleures marges bénéficiaires, et donc la tentation de transmettre le maximum de réparations à effectuer à celle qui lui succéderait.

C'est d'ailleurs à ce prix que les compagnies de charters, mises en concurrence par les grandes agences de voyage, peuvent l'emporter en offrant les tarifs les plus bas.

Ces compagnies aériennes ont une très grande latitude pour décider si leurs avions sont en état de voler. Les services de l'État font bien de temps en temps procéder à des contrôles, mais ceux-ci sont rares et bien souvent incomplets. À la Direction générale de l'aviation civile en France, 25 inspecteurs seulement sont formés à ces tâches. Le seul contrôle un peu complet sur l'appareil qui s'est écrasé avait été fait par les services suisses à Zurich le 11 octobre 2002. Il avait été inopiné et avait porté sur l'ensemble des 53 points de la liste de sécurité. Sept d'entre eux avaient révélé "une anomalie ayant un effet majeur sur la sécurité de l'exploitation de l'aéronef", à la suite de quoi Flash Airlines avait été obligée de faire remettre en état l'appareil pour obtenir l'approbation de remise en service.

Depuis, un seul contrôle avait eu lieu, cette fois par les autorités françaises à Toulouse. Mais comme la plupart des contrôles il avait été rapide et ne portait que sur une partie de la liste, 20 points sur 53, ne concernant que la documentation de l'appareil et son aspect extérieur. Il faut dire que consigne est donnée aux inspecteurs de ne pas trop retarder le départ de l'avion.

Dans le domaine du transport aérien, comme dans celui de la navigation maritime, les sociétés sont laissées pratiquement libres en matière de sécurité. Même les plus grandes n'hésitent pas à rogner sur les dépenses qui y sont consacrées, en sous-traitant par exemple la maintenance dans des pays où la main-d'oeuvre est moins chère et où bien souvent les moyens d'investigation techniques sont moins performants.

Pour qu'il en soit autrement, il faudrait qu'un véritable contrôle s'impose aux compagnies aériennes. Cela ne peut être le fait ni des compagnies aériennes, ni des gouvernements qui ne veulent pas se heurter à elles et rivalisent en matière de déréglementation.

Cela suppose que l'on rompe avec cette logique du profit, qui fait plus de cas des retours sur investissements que des vies humaines.

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