Un jour de travail forcé au bénéfice des patrons13/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1841.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Un jour de travail forcé au bénéfice des patrons

Il a fallu 15000 morts provoqués par la canicule et trois mois de discussions au gouvernement pour que celui-ci mette sur pied son plan pluriannuel d'aide aux personnes âgées et aux handicapés.

Ces ministres n'avaient rien su dire, ni rien su faire au moment de la catastrophe, même pas en reconnaître l'ampleur. Cachant la réalité derrière des communiqués mensongers, ils n'ont pas même sacrifié une journée de leurs confortables vacances pour faire ne serait-ce qu'un geste. Ils nous parlent aujourd'hui abondamment de la "solidarité de tous" en appelant les Français "à donner le temps de leur coeur". En fait cela va se traduire pour tous les salariés, aussi bien ceux du secteur public que ceux du secteur privé, par une journée travaillée gratuitement, dont le fruit servira à financer un fonds destiné à améliorer -sur plusieurs années et de façon nettement insuffisante selon l'avis de tous les spécialistes- les aides publiques aux personnes âgées.

"Solidarité de tous" ose prétendre Raffarin. Mensonge grossier. Un de plus! Non seulement les patrons ne seront pas mis à contribution puisque les 0,30% de la masse salariale annuelle qu'ils sont appelés à reverser à ce fonds seront le fruit du travail de leurs salariés. Mais il y a mieux encore. Une journée de travail représentant en moyenne 0,50% de cette masse salariale, le patronat empochera donc la différence, soit 0,20%. Autrement dit, près de la moitié du revenu de cette journée de travail supplémentaire.

Les patrons seront à coup sûr gagnants. Mais on ne sait pas si les personnes âgées et les handicapés verront la couleur de l'argent que le gouvernement s'apprête à voler aux salariés. Ce ne serait pas la première fois qu'une taxe créée pour financer la solidarité serait détournée de sa destination première. Les anciens se souviennent de la vignette auto qui avait été instaurée -déjà- par solidarité avec les personnes âgées en 1956 et qui, au bout de sa deuxième année d'existence, avait été utilisée pour financer tout autre chose, la guerre d'Algérie en particulier.

La sollicitude de Raffarin envers les patrons s'est manifestée d'une autre façon. Alors que la journée de travail forcée décidée par le gouvernement est fixée au lundi de Pentecôte 2005 pour les fonctionnaires, les patrons du secteur privé auront la liberté du choix du jour, à leur convenance, en fonction des besoins de leur production, sans que les travailleurs aient voix au chapitre.

Raffarin, qui n'a pas peur des grands mots, a déclaré que sa décision d'escroquer un jour de travail aux salariés était "une réforme historique, d'une ampleur financière jamais atteinte". Peut-être cela veut-il dire que ce hold-up contre le monde du travail est le hold-up du siècle. En tout cas il est particulièrement odieux et répugnant car c'est en invoquant la solidarité avec les personnes âgées et les handicapés que le gouvernement veut nous faire les poches pour remplir un peu plus celles des patrons.

Et du coup, les sommes que le gouvernement prétend vouloir consacrer à l'amélioration du sort des personnes âgées sont scandaleusement insuffisantes, de l'avis de tous les spécialistes qui sont confrontés à ces problèmes. Tous, urgentistes, directeurs de maisons de retraites ou associations qui s'occupent de soins à domicile, expliquent que les sommes alimentant le fonds solidarité-vieillesse sont une goutte d'eau dans l'océan des besoins.

Pourtant ni Raffarin, ni Chirac, ni Mattei, n'auraient de peine à trouver les milliards d'euros qui manquent cruellement dans ce domaine, comme dans d'autres liés à la détresse sociale qui s'étend dans le pays. Il suffirait de prendre l'argent là où il se trouve, en le prélevant d'autorité sur les profits des gros actionnaires, sur les fortunes des riches. Ce ne serait pas plus injuste, ni plus choquant que d'imposer autoritairement une journée de travail forcée et gratuite aux salariés!

Ce serait plus juste que la décision de construire un sous-marin de plus et d'augmenter de 4% le budget militaire, comme vient de le décider le Parlement.

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