Quel "barrage" contre l'extrême droite ?13/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1841.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Quel "barrage" contre l'extrême droite ?

A l'approche des élections, les représentants des partis de gauche et, entre autres, ceux du Parti Socialiste, essaient de remonter les électeurs en agitant la menace de l'extrême droite. Il ne faudrait pas disperser les voix et voter "utile", disent-ils comme à chaque fois, ce qui revient à reconstituer une nouvelle fois une majorité autour du PS.

Toujours les mêmes arguments, les mêmes chantages. Voter PS pour faire "barrage" à l'extrême droite, disent ses dirigeants. Comme si on avait oublié comment le Front National, qui n'était dans les années soixante-dix, qu'une petite organisation d'extrême droite, recueillant autour de 2 ou 3% des voix, a progressé dans l'électorat, y compris dans l'électorat populaire, pour en devenir une composante importante.

Un climat de désillusion

Le Front National obtint ses premiers succès électoraux en 1983, faisant, comme à son habitude, campagne contre l'immigration et les immigrés, les rendant responsables du chômage: en septembre 1983, aux élections municipales de Dreux, il recueillit 16% des suffrages, et ce succès se confirma un mois plus tard à Aulnay-sous-Bois, où le FN obtint près de 10% des voix. En juin 1984, aux élections européennes, ces percées électorales se confirmèrent à l'échelle nationale. Le FN recueillit alors 10,95% des voix et 2,2 millions de suffrages.

Ces scores, qui survenaient deux ans après l'arrivée au pouvoir de l'Union de la gauche, se plaçaient dans un climat de désillusion des milieux populaires. Mitterrand élu président de la République en 1981, et le gouvernement socialiste dirigé par Mauroy, dans lequel siégeaient quatre ministres communistes, qui s'appuyaient sur une Assemblée nationale où les députés socialistes détenaient, à eux seuls, la majorité absolue, avaient pris des mesures qui ne pouvaient que désorienter, décevoir et écoeurer une frange importante de la population laborieuse ayant espéré que l'arrivée de la gauche allait se traduire par une amélioration de son sort.

Au lieu de cela, le gouvernement de la gauche décidait le blocage des salaires, des licenciements massifs dans les secteurs dépendants de l'État. Le chômage s'accroissait sans que le gouvernement n'agisse, laissant les mains libres au patronat quand il ne l'encourageait pas. Et les partis gouvernementaux faisaient intervenir leurs militants dans les entreprises pour bloquer toute réaction contre ces mesures ouvertement antiouvrières. Le Premier ministre socialiste Mauroy devint le maître d'oeuvre du Plan Acier qui mit sur le pavé des milliers de sidérurgistes en Lorraine. Il expliqua d'ailleurs plus tard, qu'il fallait bien que quelqu'un "fasse le sale boulot". Et ce fut lui.

Ce sentiment d'être trahi, la déconsidération des idées de gauche en général du fait de la politique de ces gouvernements, ont joué leur rôle dans l'ancrage, puis dans le renforcement de l'influence de l'extrême droite dans l'électorat populaire.

Le Front National atteignit les 4,3 millions de voix à l'élection présidentielle de 1988. Dès lors, il obtint, à chaque scrutin, un total de voix oscillant autour de 4,5 millions. En 2002, Le Pen et Mégret totalisaient 5 470 270 voix, soit 19,57% des voix. Et les scores de l'extrême droite dépassaient de beaucoup cette moyenne nationale dans les cités et quartiers populaires.

Qu'une partie importante de l'électorat populaire se tourne vers l'extrême droite, c'est grave. Que les idées qu'elle véhicule prennent corps, c'est un danger pour le monde ouvrier et même pour toute la société. Le Pen, ce milliardaire réactionnaire, est un adversaire sans pitié de la classe ouvrière. Le seul avenir qu'il lui réserve est de la faire marcher au pas. Il se présente en homme du changement radical, mais sa politique vise à servir le grand patronat, comme d'autres mais avec d'autres méthodes, encore plus brutales, encore plus autoritaires. Le fait que des travailleurs n'en soient pas conscients et voient dans le vote Le Pen le moyen d'exprimer un vote "de protestation" est un risque qu'il faut combattre.

Redonner confianceaux travailleurs

Malheureusement, ce n'est pas vraiment cela qui préoccupe les représentants de gauche. Tout au plus tentent-ils d'en limiter les conséquences sur le plan électoral et sur le nombre de postes de notables qu'ils espèrent conserver ou gagner.

Le 21 avril 2002, les dirigeants de la gauche ont appelé à voter Chirac, en nous expliquant que c'était le seul moyen de faire "barrage à Le Pen". Cela leur a permis de ne pas avoir à s'expliquer sur les raisons de leur échec électoral ni même sur la façon dont il faudrait, vraiment, combattre le Front National et son influence.

Oui, il faut ouvrir un autre espoir, une perspective pour changer la société et non pour en gérer les tares. C'est un combat qui ne se mène pas seulement et essentiellement sur le terrain électoral. C'est un combat de tous les jours, auprès des travailleurs, dans les entreprises et les quartiers. Et pour cela il faut qu'existe à l'extrême gauche, une force qui, face au faux radicalisme de Le Pen, soit capable de rendre espoir et perspectives à ceux qui, poussés par les déceptions, les désillusions, provoquées par des partis qui n'ont de gauche que le nom, pensent n'avoir d'autre choix pour se faire entendre que de s'en remettre à l'extrême droite.

Oui, il faut désigner les vrais ennemis des travailleurs, les patrons, et pas accuser d'autres travailleurs qui, parce qu'ils n'ont pas la carte d'identité française en poche, seraient les concurrents des travailleurs français. Ce sont les patrons qui licencient, qui fabriquent la misère et la désespérance. C'est à eux et à leurs profits qu'il faut oser s'en prendre. C'est la seule attitude qui pourra contrecarrer, dans les esprits et sur le terrain, l'influence du FN.

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