Dans le monde

Argentine : Après six mois d'expulsion, les travailleuses de Brukman retrouvent leur emploi

"Nous sommes contentes de pouvoir montrer à tous que notre lutte n'a pas été vaine. C'est une décision que nous méritions". Les soixante ouvrières de Brukman, une entreprise de Buenos Aires où elles fabriquent des costumes d'hommes, ne cachaient pas leur satisfaction et leur émotion après la décision prise, fin octobre, par la municipalité de la capitale d'entériner l'expropriation des biens de l'ancien propriétaire, notamment l'usine et les machines à coudre.

Cette décision des élus locaux va permettre aux travailleuses de reprendre leurs activités interrompues après leur expulsion par la police, en avril dernier, de cette usine qu'elles occupaient en la maintenant en activité.

La municipalité a en effet estimé que les dettes des anciens propriétaires, les frères Brukman, qui avaient abandonné l'entreprise, dépassaient largement la valeur des biens en question et qu'elle ne leur appartenait plus.

Dans sa décision, la municipalité a demandé que cette possibilité de réintégrer l'entreprise soit ouverte non seulement à ceux et celles qui avaient fait le choix de maintenir l'entreprise en activité, une soixantaine de personnes, mais également à ceux qui pour des raisons diverses ne l'avaient pas fait, cinquante-cinq personnes, parmi lesquelles une partie du personnel administratif.

Cette partie de la décision a bien sûr fait pas mal discuter ceux et celles qui avaient participé non seulement au maintien de l'entreprise en activité mais également à la lutte qui a suivi pour obtenir leur réintégration dans le site. Les ouvrières expulsées avaient notamment installé une tente de protestation en face de leur entreprise mais aussi sur la place de Mai, à Buenos Aires, non loin du palais présidentiel, pour populariser leur lutte et faire connaître leurs exigences. Ceux et celles qui, par leur lutte, ont obtenu satisfaction se demandent évidemment si le décalage avec les autres employés ne sera pas difficile à vivre.

En attendant, que les frères Brukman aient perdu tout droit sur leur ancienne entreprise, qui va maintenant être transformée en coopérative ouvrière, reconnue "d'utilité publique", est une victoire pour tous ceux qui soutenaient le mouvement de récupération d'entreprises, enclenché avec l'effondrement de l'économie argentine en 2001. Avec l'usine de céramique de Zanon, Brukman était un des symboles de ces luttes qui ont conduit plus de 170 entreprises à être reprises par leur personnel, après la défection de leur employeur. L'expulsion des ouvrières de Brukman avait mobilisé les soutiens et les solidarités. Dans un pays qui a plongé brutalement les couches populaires dans un chômage massif et une grande misère, pouvoir maintenir des emplois est précieux. Les entreprises concernées représentent environ dix mille emplois préservés.

En reprenant leur entreprise, une fois payés tous les frais de fonctionnement, les travailleuses de Brukman arrivaient à maintenir une paye modeste mais indispensable pour continuer à vivre. A part un élu du conseil municipal qui s'est déchaîné contre les travailleuses de Brukman traitées d'"intruses" et a dénoncé "le communisme et le marxisme", la majorité des élus municipaux ont soutenu cette décision. Les avocats qui ont soutenu les ouvrières n'excluaient pas que les anciens propriétaires essaient de nouvelles manoeuvres juridiques pour faire annuler la décision de la municipalité, mais ils estimaient qu'il leur sera difficile de faire passer comme un "délit", vis-à-vis de l'opinion publique, une action pour la sauvegarde de l'emploi. Une fois réglées les questions administratives liées à leur nouveau statut, les travailleuses et travailleurs de Brukman devraient retrouver leur poste de travail dans le courant de ce mois.

Partager