Aliments du bétail : Dommage que les vaches ne sachent pas lire13/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1841.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Aliments du bétail : Dommage que les vaches ne sachent pas lire

Pour la première fois le Conseil d'État, la plus haute instance judiciaire du pays, a suspendu l'application d'une directive européenne. On peut imaginer qu'à notre époque où la "construction de l'Europe" donne matière à tant de discours, l'objet de cette suspension est de la plus haute importance.

Qu'on en juge: il s'agit de modifier l'étiquetage des sacs d'aliments destinés au bétail...

En janvier 2002 le Parlement européen adoptait une directive obligeant les fabriquants d'aliments pour le bétail à indiquer le pourcentage des divers composants de leurs mixtures, composants qui sont mentionnés par ailleurs. Cette décision intervenait dans la foulée des affaires des poulets contaminés à la dioxine et surtout de la "vache folle". Il s'agissait d'y voir un peu plus clair dans ce que les industriels du secteur font ingurgiter aux animaux d'élevage. Quoi de plus normal, dira-t-on: on comprend que les agriculteurs et, par-delà, les consommateurs, aient le droit de savoir exactement ce que les bovins ou la volaille ingèrent.

Mais les industriels de la filière (5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France) ne l'entendent pas de cette oreille. Ils veulent pouvoir mettre ce qu'ils veulent dans les sacs d'aliments sans être obligés de dire en quelles quantités. C'est tout juste s'ils consentent à mentionner les composants.

C'est ainsi que le Syndicat national des industriels de la nutrition animale, agissant par l'intermédiaire de trois sociétés, a réussi à obtenir du Conseil d'État qu'il émette un "doute sérieux" sur la légalité de la directive européenne, au motif qu'elle n'est "pas proportionnée aux objectifs de traçabilité et de santé publique recherchées". La directive est donc pour le moment suspendue!

Parmi les arguments avancés par les industriels de la "mal bouffe" animale il y a celui-ci: l'obligation d'indiquer les proportions sur les étiquettes obligerait le fabriquant à "révéler son savoir-faire et ses secrets d'affaires". En outre cette révélation pourrait induire une baisse des prix...

Si on comprend bien, le jour où les éleveurs découvriront, sur les étiquettes, que les produits nutritifs supposés se trouver dans les sacs ne le sont qu'à dose infinitésimale, ils risquent de se détourner de ces produits, et les prix de baisser.

Bref, pendant que les ministres de l'Agriculture et de la Santé font des déclarations sur la transparence indispensable dans l'alimentation humaine et animale, on constate que les industriels ne sont, jusqu'à présent, pas obligés d'indiquer exactement ce qu'ils font avaler aux malheureux animaux. Le jour où on veut les y contraindre, la plus haute autorité judiciaire de l'État s'aplatit et se met à leur service afin de repousser la mesure.

Devant les industriels de l'agro-alimentaire, les conseillers d'État ont autant d'indépendance que des poulets élevés en batterie.

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