Suède : Euro ou Couronne, la classe ouvrière devra se défendre18/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1833.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Suède : Euro ou Couronne, la classe ouvrière devra se défendre

Le référendum du 14 septembre sur l'adoption de l'euro en Suède s'est soldé par un "non". Membre de l'Union européenne depuis 1995, la Suède n'avait pas adopté la monnaie unique européenne lors de son introduction en janvier 2002. Le "non" l'a emporté, avec 56,1% des votants et le pays va donc garder sa monnaie, la couronne.

La campagne électorale a duré des mois et a largement divisé le monde politique. Elle a aussi été marquée par l'assassinat, à quatre jours du scrutin, de la ministre des Affaires étrangères, Anna Lindh, une des dirigeantes du Parti Social-Démocrate au pouvoir. Ce dernier a fait campagne pour le oui, ainsi que les formations "bourgeoises", actuellement dans l'opposition, et l'essentiel du grand patronat.

Une pomme de discorde au sein des partis et des syndicats

De leur côté, les Verts, le Parti de Gauche (ex-PC), qui soutiennent au Parlement le gouvernement social-démocrate, ont fait campagne pour le "non", ainsi que la quasi-totalité de l'extrême gauche. Quant à la direction de la grande centrale syndicale LO (2 millions de membres), elle a pris tardivement position pour le "oui". Mais de nombreux syndicalistes ont milité pour le "non", ainsi qu'une fraction du Parti Social-Démocrate.

Dans cette campagne il y a eu de nombreux arguments démagogiques dans les deux camps, rappelant par bien des aspects ce qu'on a connu en France à l'époque du référendum sur le traité de Maastricht. Les partisans de l'euro ont ainsi évoqué... la création d'au moins 100000 emplois si le "oui" l'emportait. Et les représentants du patronat ont menacé de transférer des productions hors de Suède en cas de victoire du "non". De leur côté les partisans du rejet de l'euro ont mis l'accent sur... les conséquences néfastes pour l'emploi si la monnaie unique était adoptée. Bien des courants nationalistes ont dénoncé la façon "non démocratique" dont la Banque centrale européenne est dirigée. Ce qui est certes vrai mais permet surtout d'occulter le fait que la Banque royale de Suède est évidemment tout aussi peu démocratique et ne prend ses décisions qu'en fonction de l'intérêt du grand capital.

Le débat s'est aussi polarisé sur la défense du "modèle suédois", c'est-à-dire le fait que la Suède dispose d'un niveau de vie et de services publics qui seraient supérieurs à la moyenne de l'Union européenne -encore que c'est oublier un peu vite la brutale dégradation de la dernière décennie. Les partisans du "non" ont ainsi expliqué que c'est la politique monétaire (le fait de modifier le taux de change de la monnaie et les taux d'intérêt) qui permet de maintenir un haut niveau "d'État-providence" et donc qu'une politique monétaire indépendante protégerait la Suède.

Il est vrai que, étant un petit pays, la Suède n'aurait pu, une fois au sein de la zone euro, faire marcher la planche à billets, comme le font la France et l'Allemagne en laissant monter leur déficit public au-delà de la barre des 3% du Produit National Brut prévue par les accords de Maastricht. La Suède, elle, n'aurait eu d'autre choix, sous peine de sanctions, que de se conformer à cette limite, au détriment de ses dépenses publiques, tout en partageant la note de l'inflation engendrée par les grands pays qui dominent l'Union. Mais le fait d'être hors de la zone euro ne l'empêchera pas pour autant de subir les contrecoups de ses avatars financiers, ne serait-ce que parce que son économie dépend en grande partie de ses échanges commerciaux et financiers avec cette zone.

Euro ou pas, les acquis sociaux sont menacés

Sans doute existe-t-il dans une partie de la population suédoise le sentiment que, en restant isolée, elle s'en sortira mieux et pourra préserver ce qui reste de ses "acquis sociaux". Mais il s'agit d'illusions, entretenues depuis des décennies par la social-démocratie et par le syndicat LO. Car la politique monétaire n'a jamais servi à préserver les intérêts de la population laborieuse mais à préserver ceux des milieux d'affaires. Et pas plus la défense du "modèle suédois" que le maintien de la couronne ne permettront à la classe ouvrière d'être mieux armée pour faire face aux attaques à venir. En Suède, comme partout, la bourgeoisie cherche à s'attaquer au coût du travail, "trop élevé" à son goût, c'est-à-dire en fait au niveau de vie des travailleurs. Cela a d'ailleurs commencé bien avant que soit posé le problème de l'adhésion à l'euro: des délocalisations ont déjà eu lieu et le taux de chômage est en augmentation.

En réalité, la Suède a dû sa situation relativement privilégiée passée à des circonstances bien particulières. Elle est demeurée, jusqu'au début du XXe siècle, un pays pauvre. Des centaines de milliers de ses habitants ont alors émigré aux États-Unis pour fuir la misère. Mais, restée à l'écart des deux conflits mondiaux qui ont ensanglanté l'Europe au cours du siècle dernier, elle n'a pas connu de destructions massives et a exporté beaucoup lors des périodes de reconstruction. C'est cela, conjugué à d'importantes ressources naturelles (bois et fer en particulier), qui lui a permis de se forger une industrie de qualité tournée en grande partie vers l'exportation.

Parallèlement la bourgeoisie a fait, depuis les années 1930, le choix d'associer très largement les syndicats à la gestion de ses intérêts. En échange de la paix sociale (le nombre de grèves depuis 60 ans est très faible), quelques avantages ont été accordés aux travailleurs... et aussi à la bureaucratie syndicale. Mais ce n'est rien à côté de ce qui a été extorqué à la classe ouvrière par le biais d'une exploitation sans heurt. C'est cela qui a permis que, dans ce pays de seulement 9 millions d'habitants, un certain nombre de grands trusts capitalistes d'ampleur internationale puissent voir le jour: Ericsson, Volvo, SKF, Alfa-Laval, Saab-Scania, etc.

Aujourd'hui, pour la bonne marche de ses affaires au niveau international, la bourgeoisie estime qu'il vaudrait mieux qu'elle intègre la zone euro. C'est un problème qui ne concerne que les capitalistes, petits et grands. Pour les travailleurs conscients, le problème est tout autre: qu'elles soient exprimées en euros ou en couronnes, il est de savoir où vont les richesses qu'ils créent, et de peser pour que la répartition ne s'effectue pas toujours plus en défaveur de la classe ouvrière. C'est une question de rapport de forces, de capacité de la classe ouvrière à se défendre, mais aussi de conscience.

Et il est bien dommage que personne, à l'occasion de la campagne électorale qui vient d'avoir lieu, n'ait dénoncé le faux choix entre deux options bourgeoises -entre le repli nationaliste et l'intégration plus poussée dans l'Europe du capital- pour mettre en avant sans ambiguïté une perspective de défense des intérêts de classe des travailleurs.

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