Manifestation du 17 octobre 1961 : Au placard pour avoir dit la vérité24/04/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/04/une1812.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Manifestation du 17 octobre 1961 : Au placard pour avoir dit la vérité

Deux responsables des archives municipales de Paris viennent d'obtenir réparation devant le tribunal administratif. Pour avoir dit la vérité sur l'ampleur de la répression de la manifestation antialgérienne du 17 octobre 1961, on leur avait reproché un manquement à leur "devoir de réserve" de fonctionnaires. Ils avaient été menacés de sanctions disciplinaires et pénales. En tout cas, on les avait démis de leurs responsabilités et mis "au placard".

Leur seul "délit" était d'avoir témoigné en justice en 1999 contre Papon, préfet de police à Paris en 1961. Celui-ci avait alors intenté un procès à Jean-Luc Einaudi, historien qui a contribué à faire connaître la vérité sur cette journée du 17 octobre 1961, pour complicité de diffamation à son égard. Papon ne supportait pas que celui-ci ait, dans un journal, qualifié de "massacre" la répression de la manifestation des Algériens de ce jour-là, opérée par "des forces de l'ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon".

Papon n'avait pas obtenu satisfaction et Jean-Luc Einaudi avait été relaxé. Car comment qualifier autrement que de "massacre" une répression qui fit au moins des dizaines de victimes, mitraillées, le crâne fracassé ou noyées dans la Seine par des forces de police déchaînées et couvertes par leur hiérarchie, à la tête de laquelle se trouvait Papon?

La presse de l'époque, complice, s'était peu étendue sur l'événement. Le "silence et l'oubli" avaient rapidement recouvert le souvenir de ce 17 octobre 1961. Il fallut l'obstination de quelques-uns pour rétablir la mémoire et la vérité. Les deux archivistes avaient seulement confirmé que, selon les archives judiciaires dont ils étaient gardiens, mais dont jusque-là la communication avait été refusée, les victimes recensées ce jour-là avaient été bien plus nombreuses que ce que la police et ses chefs avaient osé prétendre.

Que ces deux archivistes obtiennent réparation aujourd'hui est bien la moindre des justices. Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Ils avaient été sanctionnés sous l'ancienne municipalité de droite de Tiberi. Depuis le remplacement de celui-ci par Delanoë, ils sont restés dans le placard où les précédents les avaient mis. Et il faut le résultat du tribunal administratif et la publicité faite autour de lui, pour qu'enfin des propositions leur soient faites.

Le fait que des individus dérogent avec courage à ce "devoir de réserve", qui en l'occurrence n'est qu'un devoir de taire la vérité, n'est donc pas fait pour plaire à des notables de droite ni à ceux d'une certaine gauche. Et cela d'autant plus sans doute qu'il s'agit de pratiques d'un État que ces gens-là servent et vénèrent, et d'un sujet, la guerre d'Algérie, dans lequel les ancêtres politiques de ces gens-là furent solidaires pour mener une politique de répression, en Algérie comme en métropole, avec tous les mensonges nécessaires pour la masquer.

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