Irak : Le proconsul américain face à la population irakienne24/04/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/04/une1812.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : Le proconsul américain face à la population irakienne

Pour son entrée à Bagdad, un mois jour pour jour après le début de l'invasion, le proconsul de Bush, Jay Garner, a tenu à se faire filmer en train de visiter un hôpital, une centrale électrique et l'usine de traitement des eaux de la capitale. Le fait que cet ex-général américain, lié à l'industrie d'armement et au lobby israélien, essaie ainsi de faire oublier que sa véritable tâche est de présider à la mise en coupe réglée du pays, ne surprendra personne. Mais on peut douter que ces gestes médiatiques fassent oublier à la population de Bagdad ce qu'elle subit, elle qui reste privée d'électricité et, pour beaucoup, d'eau potable, et qui en plus s'est vu imposer un couvre-feu "de la dernière prière du soir à la première prière du matin", selon les termes quasi-coloniaux de la proclamation des autorités américaines.

Malgré leurs discours sur l'aide humanitaire, il est manifeste que les occupants se moquent du sort de la population pour laquelle ils n'avaient prévu que des bombes et des missiles. Quoi de plus significatif à cet égard que les efforts déployés par les troupes américaines pour protéger le ministère du pétrole contre d'éventuels pillards, alors que des hôpitaux déjà dévastés par les bombardements étaient laissés sans aucune protection?

Il en va de même pour la remise en état des infrastructures. A en croire le directeur de la centrale électrique de Durah, cité par un quotidien anglais, cette usine, qui pourvoyait à un tiers des besoins de la capitale, ne peut pas redémarrer faute de pouvoir communiquer avec Kirkouk d'où vient le gaz dont elle a besoin. Or, ce sont les forces d'occupation qui ont le monopole des moyens de communication. Quant à l'alimentation en eau potable de la ville, le même quotidien rapporte qu'elle est bloquée par le manque de pièces de rechange. Or, 22 millions de dollars de pièces destinées aux usines de traitement d'eau restent bloquées sous prétexte qu'elles pourraient avoir un usage militaire, et tant pis si cela expose la population aux risques d'épidémie!

Mais surtout, qui peut croire à la ligne officielle de Washington selon laquelle tous les pouvoirs seront remis à une administration irakienne dans les trois mois, permettant ainsi le départ des troupes? Garner lui-même a tenu à préciser à la presse: "Je ne peux pas me fixer un délai strict de 90 jours. Nous resterons ici le temps qu'il faudra. Nous leur remettrons les rênes de secteurs du gouvernement, non selon un calendrier mais quand ils seront prêts à l'accepter". Car il ne suffit pas de remettre en service les anciens tortionnaires de Saddam sous la protection des tanks américains, encore faut-il qu'ils soient capables de maintenir l'ordre dont l'impérialisme a besoin dans le pays.

Qui plus est, le New York Times n'a-t-il pas publié une fuite du Pentagone, selon laquelle celui-ci entendait conserver quatre bases militaires en Irak? La Maison-Blanche a bien précisé qu'elle ne demandait rien de plus qu'un "droit d'accès" à quatre bases aériennes. Mais ces nuances diplomatiques mises à part, il est clair que l'impérialisme américain entend faire de l'Irak une base avancée de son appareil militaro-politique au Moyen-Orient, en même temps qu'une chasse gardée pour ses trusts.

Cette perspective semble susciter l'hostilité d'une fraction au moins de la population irakienne. On a pu la voir s'exprimer, par exemple, lors de manifestations contre des politiciens qui tentaient de s'emparer des pouvoirs locaux au nom de l'ordre créé par les occupants (même si ce n'était pas toujours avec l'accord de ceux-ci), ou encore contre la conférence organisée par les États-Unis à Nassiriya au début du mois. Quant au pélerinage chiite de Kerbela, qui a attiré des centaines de milliers de participants, il a retenti de slogans antiaméricains. Mais là, il est vrai, c'est la hiérarchie religieuse qui semble avoir donné le ton.

Car pour l'instant, il semble que les forces politiques qui se mettent le plus en avant soient surtout issues de la hiérarchie musulmane, chiite en particulier, qui a profité de son omniprésence dans la société irakienne pour s'engouffrer dans le vide étatique créé par la chute de Saddam. Dans certaines villes frontalières de l'Iran, à Kut par exemple, ces forces se sont même emparées du pouvoir en s'appuyant sur des milices armées formées en Iran à l'époque de la dictature.

Pour autant que ces forces réactionnaires soient capables de contenir l'énergie de la population, elles seraient prêtes à devenir des partenaires de l'impérialisme, si celui-ci les accepte. Car elles sont elles-mêmes divisées en factions rivales qui s'opposent déjà en se livrant à une surenchère démagogique sur le terrain de l'antiaméricanisme, ce qui fait d'autant moins l'affaire de Bush que les hommes de confiance qu'il comptait pousser vers le pouvoir, ceux du Conseil National Irakien du banquier véreux Chalabi, semblent avoir réussi à faire l'unanimité contre eux. Autant dire que la consolidation d'un régime à la fois dévoué aux intérêts de l'impérialisme et capable de les imposer à la population est loin d'être à l'ordre du jour.

Cela dit, si ces factions religieuses réactionnaires semblent, pour l'instant, dominer le mouvement d'opposition à l'occupation anglo-américaine, cela ne veut pas dire nécessairement qu'elles sont les seules forces politiques sur le terrain. Ainsi, le 20 avril, une dépêche de l'agence Reuters annonçait la parution du premier journal public d'opposition à Bagdad et ce n'était pas un journal intégriste mais l'organe du Parti Communiste Irakien.

Le passé du Parti Communiste Irakien est lourd. En particulier, sa politique d'abandon des intérêts du prolétariat irakien au nom du nationalisme a contribué à désarmer celui-ci face à la montée de la dictature de Saddam Hussein. Ce parti ne pourra pas offrir de perspective aux masses irakiennes s'il persiste dans sa politique passée. Mais sa réapparition indique au moins que certaines traditions politiques du prolétariat irakien sont sans doute toujours vivantes, malgré la répression terrible du régime du Baas et les décennies de dictature. Face aux menées réactionnaires des intégristes, il n'y a que de ce côté que puisse s'ouvrir une perspective d'avenir pour la population pauvre d'Irak face à ses exploiteurs locaux et à l'impérialisme: celle d'une alliance de tous les exploités à l'échelle de l'ensemble du Moyen-Orient sur la base de leurs seuls intérêts communs, c'est-à-dire leurs intérêts de classe.

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