Irak : L'embargo, une arme de destruction massive que la France n'a jamais condamnée04/04/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/04/une1809.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : L'embargo, une arme de destruction massive que la France n'a jamais condamnée

Contrairement à la guerre du Golfe de 1991, la France ne participe pas aux opérations militaires contre l'Irak. Mais, après les réserves avancées par Chirac avant le début de la guerre, qui ne remettait pas en cause les affirmations de Bush sur le nécessité de mettre fin à la dictature de Saddam Hussein, le gouvernement français se maintient depuis dans un silence prudent. Il ne profère pas de véritable critique vis-à-vis de l'agression anglo-américaine, marquant en fait sa solidarité avec le gouvernement américain, et reconnaissant ainsi le droit des pays impérialistes d'intervenir dans toute partie du globe pour y imposer leur ordre.

Quoique concurrente des États-Unis, la France peut espérer, par son suivisme, et si les Américains ne s'y opposent pas, obtenir quelques miettes du gâteau lors de la reconstruction de l'Irak. Par ailleurs, ce silence, interprété comme un refus d'appuyer publiquement la politique de Bush, peut être compris comme un désaveu de la politique américaine, notamment dans les pays arabes avec lesquels la France fait du commerce, et espère ouvrir aux industriels français de nouveaux débouchés. "Il n'a jamais été aussi facile de travailler dans la région", a souligné un homme d'affaires français habitant les Émirats Arabes Unis et cité par Les Echos du 20 mars. Et ce même sentiment serait partagé en Égypte et en Jordanie où on noterait, paraît-il, un courant de sympathie pour les firmes françaises.

Mais même si Chirac se donne à bon compte une figure d'opposant à la guerre qui se mène actuellement, il n'a jamais remis en cause la participation française à la guerre de 1991, menée sous un gouvernement socialiste, pas plus que celle menée depuis douze ans contre la population irakienne au travers de l'embargo qui, tout en laissant le dictateur en place, a fait au moins un million et demi de victimes parmi les plus démunis et les plus vulnérables des Irakiens, en particulier les enfants.

Un pays ramené des années en arrière

Cet embargo a été instauré dès l'été 1990, pour punir Saddam Hussein d'avoir envahi le Koweït. À l'époque, la France, dirigée par le Parti Socialiste, avait voté sans état d'âme la résolution de l'ONU dictée par le gouvernement américain. Et depuis cette date, quels qu'aient été les gouvernements, ceux-ci ont accordé leur soutien aux exigences américaines.

Le but proclamé était d'empêcher l'Irak de reconstituer son armement. Dans les faits, en empêchant toute reconstruction des infrastructures détruites par la guerre, les sanctions ont eu un effet dévastateur dirigé avant tout contre la population. Alors qu'en 1990 les Irakiens avaient un revenu moyen et un programme de santé parmi les plus élevés et les meilleurs de la région, un taux d'analphabétisme relativement bas; la destruction des centrales électriques, des usines d'assainissement de l'eau, des voies de communication ont plongé le pays dans un "âge pré-industriel", comme s'en vantait un dirigeant américain.

Les soins ne peuvent plus être assurés correctement, faute de médicaments, ou du fait de coupures d'électricité dramatiques dans les hôpitaux; l'accès à l'eau potable étant deux fois moindre que ce qu'il était en 1990 dans les villes (mais seulement 30% inférieur dans les campagnes), des épidémies de typhoïde, de charbon et de diarrhée dues aux eaux contaminées ont causé la mort de dizaines de milliers d'Irakiens, d'autant que les traitements pour ces maladies facilement guérissables n'existent plus. L'Irak importait auparavant la majeure partie de sa nourriture, en échange du pétrole. L'arrêt des échanges commerciaux a amené un manque de nourriture qui a frappé en premier les plus pauvres des Irakiens, qui n'avaient rien à revendre pour se procurer les aliments de base dont les prix ont grimpé à cause de la spéculation occasionnée par l'insuffisance des produits. Et les problèmes de stockage et d'acheminement de la nourriture dus au manque d'infrastructures ont aggravé encore la situation, tout comme l'inflation qui aussi a plongé dans la misère une grande partie de la population. Un dollar s'échangeait contre trois dinars en 1990, il y a peu encore il en fallait 2000.

La population irakienne, première victime

Les sanctions ont été prétendument assouplies en 1995, par le programme "pétrole contre nourriture", mais cela ne s'est traduit que par une très faible amélioration du sort des Irakiens. Le gouvernement irakien n'a en fait jamais pu disposer librement des revenus de la vente du pétrole. Ceux-ci ont été placés sur un compte bloqué à New York, et c'est le gouvernement américain qui décidait quels produits pouvaient être importés en Irak. De plus, un tiers de ces revenus devaient servir à payer des réparations au richissime Koweït pour l'invasion d'août 1990. Et lorsque l'on sait que la vente de pétrole irakien devait aussi payer les salaires des membres des Nations unies, ainsi que toutes les autres dépenses de cette institution, rien d'étonnant de savoir que l'Irak ne percevait finalement que 20% du prix de vente de son pétrole. Selon Hans von Sponeck (ancien coordinateur des Nations unies qui a démissionné de son poste pour protester contre l'hypocrisie de ce programme), en 2002, "la valeur totale de toutes les fournitures en alimentation, médicaments, éducation, hygiène, agriculture et infrastructure parvenues en Irak se montait à 175 dollars par habitant et par an, soit moins de 49 cents par jour". Le salaire des inspecteurs de l'Unscom et des membres du comité des sanctions avoisine, lui, 100000 dollars par an.

Le second "assouplissement" à l'embargo, défini par la résolution 1284 de l'ONU de décembre 1999, est tout aussi hypocrite. Il assouplit certes les conditions d'importation de certains articles de première nécessité, mais dans le même temps, il allonge la liste des articles "à double usage", c'est-à-dire qui pourraient permettre à l'Irak de fabriquer des armes. En font partie les machines agricoles, les pompes à eau, le matériel de lutte contre l'incendie... ainsi que le détergent, les crayons à papier, et les brouettes! De même que les camions réfrigérés, indispensables pour transporter les médicaments dans un pays où la température peut dépasser les 40°. La France s'était abstenue lors du vote de cette résolution, abstention sans conséquence.

Alors, si le gouvernement français fait mine aujourd'hui de prendre ses distances vis-à-vis de la politique américaine, depuis douze ans, la gauche comme la droite se sont fait les complices de cette véritable guerre menée sans relâche contre la population irakienne, au travers d'attaques aériennes qui n'ont jamais cessé, mais aussi au travers des sanctions économiques qui ont jeté un peuple dans la misère, l'ont privé de nourriture et d'accès aux soins.

Partager