Afghanistan : "Soulèvement taliban" ou menace de guerre civile ?15/03/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/03/une1755.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : "Soulèvement taliban" ou menace de guerre civile ?

Lancée le 1er mars pour " nettoyer le dernier carré taliban ", selon les propos du haut commandement américain, l'opération " Anaconda " n'est toujours pas terminée. Le bombardement des montagnes où ce " dernier carré " était censé avoir trouvé refuge continue et, même si une partie des troupes américaines qui se trouvaient sur le terrain ont été ramenées sur Kaboul, d'autres troupes, afghanes celles-là, ont été appelées en renfort.

Mais déjà ce " dernier carré " n'en serait plus un. D'autres foyers de résistance seraient apparus, non plus dans une, mais dans quatre provinces de la région à dominante pachtoune, située le long de la frontière nord-est avec le Pakistan. A ce propos, le gouvernement mis en place par les USA à Kaboul parle non seulement de tentatives de regroupement des forces talibans, mais même d'un " soulèvement " imminent. Et d'ores et déjà 5 000 soldats gouvernementaux seraient en route vers les provinces en question, pour faire face à la menace.

On ne peut que se demander d'où sortent tous ces talibans (que les officiels américains continuent d'ailleurs à considérer comme des combattants étrangers, membres d'Al-Qaïda, pour justifier la " nécessité " de les anéantir) et où ils ont bien pu disparaître au cours des mois écoulés, depuis que Bush et ses généraux ont proclamé leur victoire " définitive " sur le régime taliban.

De là à penser que ces " talibans ", dont on dit qu'ils sont au bord de la révolte, pourraient bien n'être que des alliés (ou des ralliés) d'hier, il n'y a qu'un pas. Car la mise en place du régime de Kaboul a laissé beaucoup de monde sur la touche, en particulier parmi les chefs de guerre pachtounes, qui ne tenaient pas forcément à jouer un rôle dans le nouveau pouvoir central intronisé par les USA, mais qui, en revanche, tenaient par-dessus tout à conserver un pouvoir sans partage sur leurs fiefs respectifs. Or leurs rivaux tadjiks, qui dominent aujourd'hui le régime de Kaboul grâce à leur suprématie militaire, ont su profiter de la défaite du régime taliban pour étendre considérablement l'emprise territoriale de leur pouvoir, bien au-delà du nord du pays où ils étaient cantonnés jusqu'alors. Et aujourd'hui, certains chefs de guerre pachtounes pourraient avoir tout lieu de craindre que les nouveaux maîtres de Kaboul ne réintègrent jamais leurs bases et conservent jalousement les positions qu'ils ont occupées, en comptant sur la force de frappe américaine pour les y aider.

D'autant que la perspective d'une " loya jirga ", cette assemblée traditionnelle de notables représentative de tous les clans, dont les accords de Rome avaient prévu la convocation afin justement de permettre un règlement général des différends territoriaux sans faire de laissés-pour-compte, semble aujourd'hui s'être perdue dans le fracas des B52. En tout cas, plus personne n'en parle, ni les dirigeants américains, qui se moquent pas mal de savoir si le régime en place bénéficie de l'assentiment de tous les chefs de clans, pourvu qu'il sache se maintenir en place, au besoin par la force, ni bien sûr les dirigeants de Kaboul, qui ont tout à perdre à une redistribution des cartes du pouvoir.

Dans l'avalanche de mensonges et de propagande chauvine qui a marqué et continue à marquer la guerre en Afghanistan du côté américain, il est bien difficile de faire la part de la réalité. Mais une chose est sûre. Plus les bombes et les troupes de Bush et de ses comparses occidentaux détruiront et tueront pour consolider le pouvoir de Kaboul, et plus elles accumuleront les ingrédients explosifs d'une guerre civile. A force de semer la terreur sous prétexte de la combattre, l'impérialisme américain n'aura fait que déclencher la tempête. Et une fois de plus ce sera la population afghane qui fera les frais de cette ignominie.

F.R.

A la télévision - Les tortures de l'Etat français, pendant la guerre d'Algérie

Longtemps niée ou minimisée, la pratique de la torture durant la guerre d'Algérie commence seulement, quarante ans après la fin de la guerre, à être reconnue - et encore, comme si elle n'avait été qu'une pratique exceptionnelle.

La série de documentaires que FR3 a diffusée les 4, 5 et 6 mars a démontré que la torture a été pratiquée sur une large échelle et de façon à peu près systématique.

Ces émissions ont montré, avec des images parfois insoutenables, ce que furent les méthodes de répression pratiquées par l'armée française de 1954 à 1962 en Algérie. En fait, la torture, de multiples façons, a été employée sur des milliers de prisonniers algériens, des civils, des hommes, des femmes, des enfants, sous prétexte de leur faire avouer leurs liens avec les militants nationalistes du FLN ou d'obtenir des informations. Ce que l'Etat français présenta longtemps comme une suite de simples " opérations de maintien de l'ordre " fut une guerre féroce menée contre le peuple algérien. Tous les moyens, y compris les plus abominables, furent utilisés pour faire payer le plus cher possible son indépendance au peuple algérien.

La pratique des atrocités démoralisa la plupart de ceux qui y furent confrontés, quand elle ne transforma pas ceux qui participaient ou étaient témoins de tortures en bourreaux cyniques. Les nombreux témoignages qui constituaient l'essentiel des émissions en donnaient autant d'illustrations. Que ce soit des professionnels de la torture comme Aussaresses qui, une nouvelle fois, faisait au petit écran l'apologie de ses exactions, ou des Massu et Bigeard, qui encadraient les jeunes appelés, l'armée reçut carte blanche du pouvoir politique pour lutter par tous les moyens contre le FLN et terroriser l'ensemble de la population algérienne : ce furent, outre la torture, les liquidations de prisonniers, les viols, les massacres de populations civiles, y compris femmes et enfants, les villages brûlés au napalm, les déplacements en masse de populations regroupées dans des camps.

A partir de 1956, l'envoyé spécial en Algérie du gouvernement du socialiste Guy Mollet, Robert Lacoste, donna toute liberté aux militaires. A partir de 1958, de Gaulle déclara qu'il fallait que la torture cesse, mais il ne fit rien pour l'empêcher. Tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont ainsi couvert l'emploi de la torture et les exactions de l'armée en Algérie.

Dans cette série d'émissions, le réalisateur, Patrick Rotman, a accumulé des documents éloquents sur les crimes de l'armée française en Algérie, documents d'époque appuyés par des interviews actuelles des protagonistes. La responsabilité des gouvernements français, comme des militaires, apparaît accablante, injustifiable. Ces émissions permettaient de montrer, en particulier aux générations qui n'ont pas vécu cette période, ce qu'était la politique d'une puissance coloniale dite démocratique et le rôle qu'y jouait son armée comme instrument de cette politique.

Au cours du débat final, on a pu voir des militaires français de l'époque, notamment le général Schmitt, nier avec aplomb qu'il y ait eu usage massif de la torture, armés encore aujourd'hui de toute leur bonne conscience de soudards, habitués à être du côté du manche et à massacrer sans se poser de questions.

Malheureusement, leurs tentatives pour se justifier étaient, dans une certaine mesure, facilitées par la volonté de Rotman de renvoyer dos à dos les militaires français et les combattants du FLN (qui certes usait souvent lui aussi de méthodes odieuses, du même type que l'armée coloniale). Ne pas vouloir choisir entre les oppresseurs du peuple algérien et ceux qui luttaient pour se débarrasser de la tutelle coloniale revenait à les mettre sur le même plan, avec l'excuse facile qu'il y avait des atrocités des deux côtés ; en oubliant que celles de l'armée coloniale étaient celles d'une grande puissance disposant de moyens modernes, imposant sa tutelle et exploitant sans vergogne l'Algérie depuis plus d'un siècle, en ayant fait connaître au pays les massacres, les exactions et l'injustice la plus criante.

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