Voir : "Histoires de vies brisées" de Bertrand Tavernier14/12/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/12/une-1743.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C164%2C225_crop_detail.jpg

Divers

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En décembre 1997, Bertrand Tavernier rendait visite à un groupe de sans-papiers lyonnais qui avaient entamé une grève de la faim et leur apportait son soutien : ils demandaient leur régularisation et protestaient contre la " double peine " dont ils étaient victimes. Le gouvernement Jospin envoya alors sur place un " médiateur ". Les grévistes lui firent confiance et arrêtèrent leur grève. Mais les promesses ne furent pas tenues et la grève reprit en avril 1998. Le cinéaste vint suivre cette seconde grève de la faim avec sa caméra et donna la parole à ceux qui n'avaient pas réussi à se faire entendre la première fois. Puis, en juin 1999, la femme de l'un des premiers grévistes entama à son tour une grève de la faim et Tavernier était encore présent pour témoigner.

Ce film raconte donc ces trois grèves de la faim à partir d'images d'archives et d'interviews de personnes tantôt révoltées, tantôt accablées par l'injustice qu'elles subissent. Toutes ont commis des délits pour lesquels elles ont été condamnées. Mais elles ont purgé leur peine il y a quinze, vingt ans et plus. Pourtant, parce qu'elles sont étrangères, une deuxième mesure a été prise contre elles : l'expulsion du territoire, ou comme le dit l'une d'entre elles, " le bannissement, l'exil ", disproportionné par rapport à la gravité du délit. Peu importe que certains de ces immigrés soient arrivés en France à l'âge de trois mois, qu'ils aient toujours vécu en France, que leurs parents, leur femme, leurs enfants soient français, qu'ils ne connaissent personne en Algérie ou en Tunisie, qu'ils ne parlent pas un mot d'arabe : ils peuvent être expulsés, soit à titre administratif (par arrêté ministériel d'expulsion - AME), soit à titre judiciaire (sur décision d'un juge qui prononce l'interdiction du territoire national - ITN).

Les protagonistes du film racontent comment leurs vies ont été brisées par les décisions de juges haineux, comment ils ont " plongé " une fois revenus dans leur pays d'origine, comment ils ont frôlé la folie, comment ils sont revenus en France, ont vécu dans la clandestinité, avant de retrouver du travail au vu et au su des autorités ou de la police, qui acceptent parfois de fermer les yeux ou même de les aider (comme le maire PCF de Vénissieux) : " Ils nous connaissent depuis qu'on est tout petits ", dit l'un d'eux. Mais ils restent des clandestins, marginalisés, punis deux fois pour le même délit, parfois détenteurs d'une " abrogation " de l'AME temporaire, de six mois par exemple, renouvelables. Il leur est quasiment impossible de faire des projets, dans le " no man's land " où ils vivent, entre légalité et illégalité ; parfois les liens avec les proches s'effritent, se brisent.

Ces vingt dernières années, la double peine aurait concerné directement environ 17 000 personnes et, indirectement, plus de 100 000 (parents, proches). Ce film militant, sans fioriture, témoigne de cette situation inadmissible, et ne mâche pas ses mots vis-à-vis du pouvoir socialiste. À voir et à faire voir (si l'occasion se présente, car ce film n'a intéressé ni les distributeurs ni les chaînes de télévision et il ne passe que dans une seule salle à Paris).

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