Afghanistan : " victoire " sanglante dans une sale guerre14/12/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/12/une-1743.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C164%2C225_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : " victoire " sanglante dans une sale guerre

Trois mois après l'attentat du World Trade Center le président américain Bush a rameuté les médias pour une cérémonie anniversaire à New York, destinée, de toute évidence, à raviver la flamme de la revanche.

Car malgré les communiqués de victoire de l'état-major américain, le bilan de l'agression de Bush contre le peuple afghan n'a rien de glorieux.

Après deux mois de bombardements incessants d'un pays déjà largement détruit par la guerre, par l'armée la plus puissante du monde, les Etats-Unis semblent avoir finalement réussi à provoquer l'écroulement de l'édifice d'alliances entre chefs de guerre sur lequel reposait le pouvoir des talibans.

Mais la guerre n'est pas finie pour autant. Sans doute la presse en est-elle aujourd'hui à annoncer la reddition imminente du complexe de grottes souterraines de Tora Bora, près de Jalalabad, dans lequel, à en croire les autorités américaines, Ben Laden et ses hommes auraient trouvé refuge. Mais outre le fait que cette annonce pourrait bien, comme tant d'autres, se révéler prématurée, on apprend en même temps l'existence d'autres foyers de résistance - dans les montagnes Spin Ghar, non loin de Tora Bora, mais aussi au sud de Kandahar.

Et malgré les bombardements qui continuent et les villages que les B52 continuent à détruire " par erreur ", il n'est même pas certain que les dirigeants américains parviennent à empêcher Ben Laden de leur échapper.

Bush peut bien sûr se vanter d'avoir remis la main sur l'ambassade américaine à Kaboul. Mais le fait qu'il n'ait pas voulu prendre le risque d'y envoyer des civils, laissant le soin aux militaires d'occuper les lieux, est en lui-même tout un symbole.

Quant au gouvernement intérimaire sorti des maquignonnages de la conférence de Bonn, il faudrait être aveugle pour y voir l'amorce d'une stabilisation politique dans le pays. A peine sa composition connue, le nouveau gouvernement a provoqué un tollé, non seulement parmi les ralliés de fraîche date à la lutte contre les talibans, mais même parmi des piliers de l'Alliance du Nord tels que le chef de guerre Ouzbèque Dostom ou le parti chiite Wahdat.

La " reddition " de Kandahar, ou plutôt, devrait-on dire, le retournement des seigneurs de guerre locaux contre les talibans, a d'ailleurs donné une illustration frappante de la faiblesse du régime intronisé par les USA. Malgré les forces militaires dont il disposait sur le terrain, le poulain de Washington et Premier ministre du pouvoir intérimaire Hamid Karzaï n'en a pas moins dû consentir à un partage de la ville avec deux autres chefs de guerre, dont l'un venait tout juste d'abandonner les talibans.

Et les fissures dans la coalition anti-talibans sur laquelle repose le gouvernement intérimaire deviennent plus visibles chaque jour. Les principales composantes de cette coalition mettent les bouchées doubles pour consolider les fiefs qu'elles se sont constitués à la faveur de la retraite des talibans. Et là où ces fiefs se rencontrent, comme à Mazar-e-Charif, le partage territorial ne suffit plus à empêcher les escarmouches.

En fait, on pourrait en revenir très vite à une situation proche de celle de 1992, lorsque l'effondrement du régime pro-soviétique avait créé un vide étatique, ouvrant la voie à la guerre pour le pouvoir à Kaboul et aux rapines des potentats locaux dans le reste du pays. Et cette fois encore, comme en 1992, c'est avec les armes flambant neuves que leur auront fourni l'impérialisme américain que les chefs de guerre d'aujourd'hui risquent demain de mettre le pays à feu et à sang !

Et si tel était le cas, ce ne serait certainement pas la " force internationale de paix " que l'ONU doit envoyer en Afghanistan - si tant est que cela se fasse - qui arrêtera le bain de sang.

En fin de compte, ces deux mois de bombardements et de destructions systématiques n'auront donc servi qu'à ramener le pays à la case de départ, là où il en était il y a dix ans. Mais à quel prix pour la population : non seulement au prix d'un bain de sang pour les victimes directes des bombardements, mais avec en plus le sort dramatique infligé à des millions de réfugiés, chassés des villes par les B52, sans même la fragile protection des villages de toile des ONG. Et cela en plein hiver ! Combien parmi eux seront morts de froid ou de faim pour assouvir les appétits de vengeance des leaders impérialistes ?

D'ailleurs ceux-ci ont eu tôt fait d'oublier leur hypocrite démagogie humanitaire. Le porte-avions Charles-de-Gaulle, malgré sa lenteur désormais légendaire, arrivera dans l'océan Indien avant même qu'y parvienne le premier chargement d'aide humanitaire envoyé par la France à partir du Havre. C'est tout dire.

Mais peu importe ce bilan pour les leaders de Washington, ou leur soutiens européens. Leur but était de montrer, à leur propre opinion publique et à l'ensemble des peuples des pays pauvres, ce qu'il en coûte de s'attaquer aux sanctuaires de l'impérialisme. C'est le peuple afghan, qui n'était pour rien dans l'attentat de New York, qui a fait les frais de cette démonstration. Cela ne la rend que plus ignoble.

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