Afghanistan - Après le recul des talibans : L'impérialisme toujours sans solution face au bourbier afghan16/11/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/11/une-1739.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan - Après le recul des talibans : L'impérialisme toujours sans solution face au bourbier afghan

Après près de cinq semaines de bombardements de plus en plus destructeurs et meurtriers, la situation militaire en Afghanistan semble s'être soudain transformée en l'espace de quelques jours. Les forces de l'Alliance du Nord ont occupé successivement trois grands centres stratégiques - Mazar-e-Charif au nord-ouest, Hérat à l'ouest, et enfin, dans la nuit du 12 au 13 novembre, Kaboul, la capitale du pays. Néanmoins, il est bien difficile de mesurer la signification réelle de cette évolution de la guerre.

Que signifient les changements sur le terrain ?

Si l'on en croit la presse, l'Alliance du Nord n'aurait pour ainsi dire pas rencontré de résistance. A Mazar-e-Charif, par exemple, le gros des forces talibanes avaient évacué la ville bien avant l'arrivée des premières unités de l'Alliance du Nord. Même chose à Hérat, où la ville était pourtant pratiquement encerclée par l'Alliance du Nord qui convergeait vers elle de trois directions différentes.

En fait, les informations dont on dispose ne permettent pas de savoir comment l'Alliance du Nord, qui piétine depuis des mois aux portes de ces villes, a réussi à les prendre aussi facilement. Le départ des talibans y a-t-il suffi ou bien ont-ils obtenu l'appui actif ou tacite de chefs de guerre locaux ?

Il faut en effet rappeler que, dans le passé, les talibans ont dû leur conquête du Nord et de l'Ouest du pays au ralliement d'un grand nombre de chefs de guerre locaux qui avaient émergé durant la période de vacance du pouvoir central, après 1992. Or si les progrès de l'Alliance du Nord étaient dus à de tels ralliements, ils pourraient bien n'être que temporaires et dépendre de la faculté des talibans à reprendre l'offensive. En tout cas, il faudrait s'attendre à ce que les ambitions politiques de ces nouveaux ralliés viennent se rajouter aux rivalités qui opposent les nombreuses composantes de l'Alliance.

Et puis même si les talibans ont reculé, cela ne veut pas dire qu'ils sont défaits, en tout cas pas pour l'instant. Le fait qu'ils semblent avoir choisi de ne pas livrer combat et de se replier en ordre, ne dit rien sur l'état réel de leurs forces. Qui plus est, la prise de Kaboul par une Alliance du Nord formée de groupes ethniques non pachtounes, grâce, quand même, aux bombardements américains, peut permettre aux talibans de mobiliser le sud pachtoune du pays, voire même une partie des quelque 21 millions de Pachtounes qui vivent de l'autre côté de la frontière pakistanaise, dans une guerre ethnique.

Les succès de l'Alliance du Nord, combinés à l'impact de l'agression américaine, pourraient alors conduire à une intensification de la guerre civile, voire à son extension au-delà des frontières afghanes.

Une quadrature du cercle sanglante

Quoi qu'il en soit, les succès de l'Alliance du Nord tombent à pic pour Bush. Il peut enfin montrer à son opinion publique que les bombes américaines auront servi à autre chose qu'à faire des victimes dans la population civile. Il peut même essayer de lui faire croire, quitte à être contredit ultérieurement par les faits, que l'agression américaine a réussi à porter un coup fatal aux talibans et donc à leurs protégés, les hommes de Ben Laden.

Mais l'avancée de l'Alliance du Nord ne résoud en rien le problème que s'est créé l'impérialisme américain en liant la "guerre au terrorisme" au renversement du pouvoir des talibans. Au contraire, le fait que l'Alliance du Nord se soit emparée de Kaboul - chose que les dirigeants de Washington semblaient vouloir éviter - leur pose un problème supplémentaire.

Car non seulement cette Alliance est formée d'un conglomérat de groupements ethniques qui ne peut prétendre représenter qu'à peine plus de 60 % de la population du pays, non seulement ce conglomérat est instable et divisé par des rivalités qui risquent de se manifester très vite et de façon sanglante, mais en plus, l'Alliance est en grande partie hostile aux Etats-Unis et surtout à son principal allié régional, le Pakistan.

Or en occupant la capitale Kaboul, avec ou sans l'aval des USA, l'Alliance du Nord n'est plus seulement un allié secondaire cantonné dans un petit territoire. Elle est désormais en position d'exiger une place de premier choix dans le futur règlement politique afghan. Ainsi tombent à l'eau les tentatives des dirigeants américains de constituer un gouvernement d'"unité nationale" sous la houlette d'un ex-roi, Zaher Shah, qu'ils sortiraient pour la circonstance de son placard romain. Car, dans le meilleur des cas, celui que les USA présentent comme un arbitre possible, ne serait qu'un otage aux mains des factions de l'Alliance du Nord.

Le recul des talibans laisse donc l'impérialisme américain face au même problème - mais avec le facteur supplémentaire d'instabilité que représente la position de force de l'Alliance du Nord - et avec toujours une seule "solution" : l'espoir de voir apparaître dans les rangs des talibans un courant prêt à négocier un règlement politique avec l'Alliance du Nord sous la houlette des USA.

Ce qui est sûr c'est que cette "solution", si tant est qu'elle vienne un jour sous cette forme ou sous une autre, se fera aux dépens de la population afghane. Aujourd'hui c'est elle qui paie déjà par avance, de son sang et de la destruction du peu d'infrastructure que vingt ans de guerre lui avaient laissé, le prix de ce règlement politique hypothétique. Et si règlement il y a, c'est encore elle qui en fera les frais, en se retrouvant soumise au joug d'une nouvelle clique de chefs de guerre intégristes et ethniques, avec comme seule "consolation" d'être opprimée par un régime reconnu par l'impérialisme. Les scènes de répression dont la presse s'est fait l'écho, aussi bien à Mazar-e-Charif qu'à Kaboul, ne sont encore qu'un avant-goût de ce que cela signifie.

Quant aux femmes afghanes qui devaient, à en croire les dirigeants impérialistes, voir avec ce futur règlement politique la fin de leur servitude actuelle sous la loi des talibans, les correspondants de presse occidentaux nous disent aujourd'hui qu'à Kaboul au moins, elles auraient été "autorisées à retourner travailler". Mais ceux qui leur ont ainsi donné leur "autorisation" n'en sont pas moins, pour la plupart, des intégristes. Et on a toutes les raisons de craindre que leur "libéralisme" (très relatif d'ailleurs car il ne semble pas question de lever les autres mesures discriminatoires contre les femmes) ait un caractère purement diplomatique destiné à donner le change face aux caméras occidentales.

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