Affaire Yveton : Quand Mitterrand votait l'exécution d'un militant communiste18/05/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/05/une-1714.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Affaire Yveton : Quand Mitterrand votait l'exécution d'un militant communiste

Certains aujourd'hui, qui pourtant savaient, ou étaient en situation de savoir, feignent de s'interroger sur le rôle de Mitterrand. On consent parfois -pas toujours- à nous dire enfin que non seulement il savait, mais qu'il était l'un de ceux qui avaient mis en place le dispositif légal qui laissait à l'armée tout pouvoir de faire la justice - si l'on ose dire - l'autorisant à user de tous les moyens, à commencer par ceux dont Aussaresses se vante d'avoir été l'un des exécuteurs d'une redoutable efficacité professionnelle. La cohorte des zélateurs de Mitterrand essaie de s'en sortir en parlant d'un bilan "contrasté", de "zones d'ombre", mais aussi de "lumière" qui marque sa biographie.

Toutes ces formules littéraires servent d'esquives. La vérité est connue, et non seulement aujourd'hui. Elle était connue à l'époque. Mitterrand s'en cachait à peine lorsqu'il déclarait "L'Algérie, c'est la France" et "la seule négociation, c'est la guerre". Il n'osait pas ajouter "et la torture, la justice expéditive, la terreur". Mais Aussaresses et ses congénères n'avaient pas besoin qu'on leur mette les points sur les i. Cette vérité, dans les années cinquante, ceux qui osaient la dire étaient pourchassés, baillonnés par les autorités qui censuraient ceux qui essayaient de passer outre, ceux qui refusaient, comme bien d'autres, de s'autocensurer. Et le mensonge s'est perpétué, bien au-delà des "événements", quand il a fallu, plus tard, fabriquer la légende de Mitterrand, sauveur de la gauche.

Pourtant, ce serviteur de la bourgeoisie avait du sang, sinon sur les mains, du moins sur la conscience. Du sang de militants qui voulaient libérer leur pays de la tutelle coloniale, du sang de militants communistes.

Tout ceux qui ont vécu cette période connaissaient l'affaire Iveton. Iveton était un militant du Parti Communiste Algérien, employé à la compagnie du gaz d'Algérie. Choisissant de participer en tant que communiste d'origine européenne à la lutte contre le colonialisme français au côté du FLN algérien, il avait dissimulé une bombe dans un local désaffecté de l'entreprise où il travaillait, se proposant de la faire exploser à une heure tardive pour qu'il n'y ait pas de victimes mais seulement des dégâts matériels. Cette bombe n'explosa pas. Dénoncé par un contremaître hostile à ses idées, qui épiait ses faits et gestes, Iveton fut arrêté par la police, en novembre 1956. Torturé, traîné dix jours plus tard devant le tribunal militaire d'Alger, assisté de deux avocats commis d'office, il fut condamné à mort aux termes d'une parodie de procès. Son recours en grâce fut soumis au Conseil supérieur de la magistrature, qui dut se prononcer sur la sentence, avant que le président de la République, ayant le droit de grâce, se décide.

Mitterrand était alors ministre de la Justice d'un gouvernement dirigé par le socialiste Guy Mollet. A ce titre, il siégeait dans ce Conseil de la magistrature et il vota pour que la peine de mort soit appliquée à Iveton. Le même jour qu'Iveton, deux Algériens furent guillotinés, six autres l'avaient été dans les semaines qui avaient précédé ces exécutions. Il y eut bien d'autres condamnations à mort et exécutées au cours de la guerre d'Algérie et nombre de dossiers passèrent sous les yeux de Mitterrand.

Trente ans plus tard, il prétendait ne pas se souvenir de cet épisode. Comme s'il pouvait avoir oublié les choix qu'il avait faits durant cette période. Il a donc menti, mais il ne fut pas le seul. Ils sont nombreux ceux qui ont délibérément occulté cette période, et celles qui ont précédé, ceux qui savaient, politiciens, journalistes, membres des états-majors de l'armée, de la police, du petit monde des affaires. Ils ont menti pour pouvoir accréditer la fable de la transmutation de ce politicien de droite, en prétendu homme de gauche. Si la politique qu'il a pratiquée était une politique de gauche, on est en droit de se demander ce qu'un politicien de droite aurait pu faire de pire !

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