Les victimes de l'amiante (Condé-sur-Noireau / Calvados)28/07/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/07/une-1672.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Les victimes de l'amiante (Condé-sur-Noireau / Calvados)

Condé-sur-Noireau est connue pour ses usines de filature d'amiante qui s'y sont installées dès la fin du XIXe siècle, et pour l'entreprise Ferodo (aujourd'hui Honeywell) qui fabriquait des plaquettes de frein avec de l'amiante dans les années 1950.

Les problèmes dus à l'amiante ne sont pas nouveaux puisque dès la mise en marche des usines, de 1890 à 1895, une cinquantaine d'ouvriers et d'ouvrières moururent de maladies causées par l'amiante. On le savait déjà à l'époque, les poussières de fibres que tissaient et cardaient les ouvriers étaient à l'origine de ces maladies mortelles : l'asbestose (fibrose pulmonaire identique à la silicose des mineurs), le mésothéliome (cancer de la plèvre), et le cancer des poumons.

A Condé, nombreux sont ceux qui témoignent des conséquences tragiques d'une vie de travail dans l'amiante. Et aujourd'hui encore, bien que l'asbestose soit reconnue comme maladie professionnelle depuis 1945 et donc indemnisable par les patrons, il faut se battre pour la faire reconnaître.

Les témoignages de travailleurs tous deux atteints d'asbestose, et qui ont déjà témoigné dans la presse, sont édifiants.

Lui travaillait dans une des usines de tissage de l'amiante où l'on fabriquait des matelas pour la marine nationale, le tissu des planches à repasser, etc. Il raconte comment il portait les sacs d'amiante sur son dos et qu'il déversait les fibres à pleines mains sans aucune protection, ou comment, le midi, il déjeunait dans les ateliers empoussiérés, et cela pendant des dizaines d'années. Il raconte aussi qu'il rapportait à laver chez lui ses bleus de travail et que, même si après 1977 l'entreprise se chargeait de les nettoyer, il continuait à ramener chez lui des fibres incrustées dans ses vêtements et surtout dans ses cheveux. Il a arrêté de travailler avant la retraite et est en invalidité, mais officiellement pour des problèmes de colonne vertébrale et non pour son asbestose.

Sa femme n'a jamais travaillé dans ces usines d'amiante. Elle travaillait dans l'entreprise située face à Ferodo. Par les vasistas ouverts de son laboratoire rentraient les poussières d'amiante rejetées par les bouches d'aération de Ferodo. Dehors, les pelouses et les voitures étaient recouvertes d'une fine pellicule blanche d'amiante. Les premiers médecins de la ville qu'elle a consultés lorsque des troubles pulmonaires ont commencé à la faire souffrir n'ont pas voulu reconnaître qu'ils étaient dus à l'amiante. Bien décidée à ne pas se laisser faire et à dénoncer sa situation et celle de nombreuses autres personnes dans son cas, elle a trouvé tout de même un médecin qui a reconnu son asbestose. Épaulée par l'ANDEVA (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) elle a porté plainte contre Ferodo afin que cette entreprise soit reconnue responsable. Car bien que ce type de victimes soient indemnisées par la Sécurité sociale, cela ne coûte rien aux patrons qui ont déversé des milliards de fibres d'amiante dans l'atmosphère pendant des dizaines d'années, puisque dans ce cas il ne s'agit pas de maladie professionnelle.

Lors du procès et de l'expertise médicale, cette travailleuse s'est entendu dire par les médecins et avocats de la direction : " Mais pourquoi habitez-vous si près de l'usine ? ", " Si vous avez des problèmes respiratoires, c'est parce que vous êtes obèse ", " Sur les radios, ce n'est pas un épaississement des parois pulmonaires, mais de la graisse ", " Vous n'étiez pas obligée de laver les bleus de votre mari ". Bref, aux yeux des avocats et médecins payés par ces patrons, si elle est malade, c'est qu'elle l'a bien cherché !

La reconnaissance des maladies professionnelles est déjà conçue comme un véritable parcours du combattant destiné à éliminer le plus grand nombre de victimes; quant à ceux qui n'ont pas travaillé dans ces usines, c'est encore pire. Car, bien sûr, ce sont les employeurs qui payent ces rentes à leurs anciens ouvriers. Leur montant est dérisoire : 2 000 francs par mois pour une incapacité de 100 % (chiffre de 1996). Pourtant les industriels, comme ces témoignages nous le montrent, usent de tous les moyens pour indemniser le moins de victimes possible.

Pendant des dizaines d'années, l'amiante, appelée alors "l'or blanc" car on l'utilisait pratiquement partout, a permis aux patrons de faire des milliards de bénéfices, au prix de milliers de morts : en France, 2 000 victimes en 1996, et probablement 100 000 d'ici à 2025, selon les estimations de l'INSERM.

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