Russie - Tchétchénie : Après la prise de Grozny11/02/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/02/une-1648.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie - Tchétchénie : Après la prise de Grozny

Grozny, la capitale de la Tchétchénie, est aux mains des troupes russes. Depuis deux mois qu'elles l'assiégaient et que l'état-major disait sa chute " imminente ", le Kremlin a finalement eu satisfaction. Et son occupant " par intérim ", Poutine, a pu annoncer sa " libération " à la télévision russe, ajoutant : " On peut dire que l'opération Grozny est terminée ".

Qu'il veuille le faire croire se conçoit : l'élection présidentielle approche et Poutine, qui a bâti son image de présidentiable sur celle d'un homme à poigne, a besoin de cette victoire. Mais qu'il ne s'agisse pas d'une victoire à la Pyrrhus, cela reste à prouver.

Le général Koulikov, commandant en chef lors de la guerre de Tchétchénie de 1994-1996, estime, lui, que " la guerre peut encore durer des années ". Il est bien placé pour savoir que, à l'époque, Grozny avait déjà été prise par ses hommes, mais avait été reprise ensuite par les combattants indépendantistes, les " boïéviki ", et que cela s'était soldé par une défaite russe.

S'ils ont abandonné Grozny (que " nous reprendrons plus tard ", proclame le président Maskhadov), les " boïéviki " se regroupent dans les montagnes du sud du pays où l'armée russe ne s'aventure pas et d'où, comme en 1994-1996, ils entendent mener des actions de guérilla et de harcèlement contre celle-ci.

Autant dire que le Kremlin n'a pas encore gagné sa guerre. D'autant moins que, depuis plus de quatre mois qu'elle dure, l'armée fédérale n'a pas seulement semé la désolation et la mort dans ce pays, elle a aussi semé dans la population tchétchène l'envie de se venger de ce qu'on lui fait subir.

Car c'est la population civile qui a payé le plus lourd tribut à la nouvelle infamie guerrière des dirigeants russes. Même si leurs médias se gardent de chiffrer les victimes et destructions matérielles de ces quatre premiers mois de guerre, on sait que, sans même parler des combattants de chaque camp, des milliers de civils ont péri sous les bombes russes, que des dizaines de milliers d'autres ont été blessés, que plus de deux cent mille ont dû s'exiler et qu'une proportion énorme de la population a tout perdu.

Pour s'en convaincre, il suffit de voir les images des villages dévastés que l'armée fédérale dit contrôler et de Grozny, sur laquelle flotte un drapeau russe au milieu d'un tas de ruines. Avec ses 110 km2, la ville est devenue " le plus grand champ de mines de Russie ", selon la chaîne de télévision russe NTV. Et d'autres reportages rapportent comment les soldats russes, notamment les " kontraktniki " (des mercenaires), " nettoient " la ville et ses alentours : de la même façon horrible qu'ils ont mise en oeuvre dans le nord " libéré " du pays, en exécutant les blessés, en violant et volant, en rançonnant ceux-là mêmes que le pouvoir russe dit venir protéger des " bandits " locaux.

Voilà comment s'amorce cette " nouvelle phase de l'opération antiterroriste " que Poutine, son état-major et sa presse aux ordres appellent " celle de la restauration de l'ordre constitutionnel " ! Le Kremlin annonce - cela permettra aux chancelleries occidentales de prétendre l'avoir obtenu de lui - qu'il s'attelle à trouver une solution politique en Tchétchénie. Pour cela, comme depuis des années, le pouvoir russe cherche à s'entendre avec les chefs de clans locaux et pousse en avant des individus aussi peu reluisants que l'ex-maire de Grozny (qui avait détourné les fonds destinés à la reconstruction de la ville après la première guerre et qu'on a tiré de prison pour le propulser à la tête de la milice tchétchène pro-russe), l'ancien imam de Tchétchénie (et chef du clan de Goudermès) ou encore un affairiste local ayant fait fortune à Moscou (et surnommé le " roi du loto russe "). Sans oublier certains chefs de guerre tchétchènes, dont Bassaïev, toujours bien en cour dans l'entourage d'Eltsine, sinon de son successeur, Poutine.

Autant dire que ce dernier, non content d'imposer un régime d'occupation militaire à une Tchétchénie martyrisée, veut mettre à sa tête des bandits qui sont d'ailleurs parfois les mêmes que ceux qui écumaient le pays et sa population du temps de l'indépendance.

La population, soulignent certains reporters, n'y voit aucune différence, et on l'imagine sans peine. Mais Poutine pourra se targuer (si la guerre ne dure pas des années, ce qui n'a rien d'assuré) d'avoir restauré son ordre et son autorité. Certes, c'est sur un cimetière, mais dans le " concert des nations " on ne devrait pas lui en tenir rigueur. En particulier, les dirigeants du monde occidental, eux non plus, ne comptent guère les ruines et les cadavres qu'ils laissent derrière eux.

Partager