Editorial

Changer le rapport de forces, une nécessité vitale

Avant même qu'aient commencé les négociations sur les 35 heures dans la fonction publique, le ministre concerné a annoncé qu'il n'est pas question de créer des emplois supplémentaires dans ce secteur.

Ce refus est une véritable provocation. Le mouvement de protestation du personnel hospitalier a mis en lumière la situation scandaleuse dans les hôpitaux publics qui manquent cruellement d'infirmières, d'aides-soignantes, de personnel technique. Il y a le même manque de personnel dans les autres services publics, qu'ils soient ou non concernés par les négociations actuelles. Plutôt que de faire intervenir, par exemple, des policiers ou des CRS dans les établissements scolaires en cas de problème, on ferait mieux d'y embaucher des enseignants, des éducateurs, des assistantes sociales.

Insuffisance de personnel encore à La Poste, à la SNCF, à la RATP ou à la Sécurité sociale où les dossiers concernant les remboursements s'entassent, ce qui oblige les assurés à attendre plusieurs semaines pour être remboursés, y compris ceux qui ont un besoin vital de cet argent.

Les besoins sont criants dans nombre de services publics, et pourtant l'Etat n'embauche pas.

Et cette loi des 35 heures, qui avait été présentée comme la grande loi sociale du gouvernement, son principal moyen aussi de réduire le chômage en créant des emplois, n'en crée même pas là où cela dépend de l'Etat. A en juger par les négociations déjà menées à La Poste ou à la RATP, l'Etat-patron en profite, en revanche, pour aggraver les conditions de travail.

Et c'est bien pire dans le privé. La loi des 35 heures ne favorise que le grand patronat à qui elle donne des armes légales pour annualiser le temps de travail, pour rendre les horaires flexibles, c'est-à-dire variables au gré des seuls patrons, pour instaurer le travail du samedi sans même payer des heures supplémentaires, pour décompter du temps de travail les temps de pause et ceux d'habillage et de déshabillage. Et de surcroît l'Etat accorde aux patrons au bas mot 120 milliards de francs pour les dédommager d'une loi qui est pourtant faite pour les avantager ! Cette somme s'ajoute au reste, à toutes ces subventions, toutes ces aides, à tous les dégrèvements d'impôt ou les exonérations sociales, qui coûtent des centaines de milliards à l'Etat, sous prétexte d'inciter les patrons à créer des emplois qu'ils ne créent pas.

Mais du coup l'Etat n'a plus d'argent pour embaucher là où il le pourrait et là où ce serait utile pour tous : dans les hôpitaux, dans les transports publics, à l'Education nationale.

Le gouvernement se vante du recul du chômage. Mais il s'agit surtout de l'augmentation de la précarité. Les grandes entreprises, elles, continuent à annoncer des plans de suppressions d'emplois.

Cela signifie plus de chômeurs, mais aussi pour ceux qui restent plus de travail, des cadences plus épuisantes, des horaires insupportables.

Chômage ou précarité pour les uns, surexploitation pour les autres : voilà comment les grandes entreprises réalisent les profits gigantesques qui sont les leurs. Voilà les raisons de l'enrichissement scandaleux des actionnaires qui ont vu leurs fortunes augmenter de 50 % durant la seule année 1999. Cela ne peut pas durer.

La seule façon d'arrêter l'aggravation de la situation des travailleurs est de changer le rapport des forces entre l'ensemble du monde du travail d'un côté, et le patronat et le gouvernement de l'autre.

Les protestations sont pour le moment dispersées, catégorie par catégorie. Si cela contribuait à redonner confiance en eux-mêmes à ceux qui sont concernés et à en encourager d'autres, cela pourrait constituer une étape. Mais nous ne pourrons changer le rapport de forces que par une offensive générale du monde du travail.

Travailleurs du privé, travailleurs du secteur public, travailleurs sans emploi, nous avons tous le même intérêt fondamental. C'est ensemble que nous imposerons au patronat et au gouvernement notre droit à la vie.

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