Pari gagné pour Hue. Bon. Et maintenant ?22/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1632.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Pari gagné pour Hue. Bon. Et maintenant ?

Robert Hue a gagné son pari. En tout cas momentanément. Il l'a lui-même proclamé sur toutes les antennes dès samedi, et le lendemain encore dans Le Journal du Dimanche : " Nous sommes en équilibre, un bon équilibre, avec un pied dans les institutions et le gouvernement, l'autre dans le mouvement populaire ". Bon prince, il a distribué des satisfecis à ses différentes troupes, y compris à l'extrême gauche antigouvernementale qui a su être responsable, tout en en recevant lui-même de ses suzerains, François Hollande et Lionel Jospin.

Il faut le lui reconnaître : ses objectifs, sur lesquels nous avons déjà insisté dans cette colonne, n'étaient pas secrets. D'abord, rappeler au PS que le PCF, malgré ses récents déboires électoraux, était bien le deuxième pilier de la gauche plurielle. Ensuite, démontrer aux militants et sympathisants du PCF, troublés, méfiants ou hostiles, que d'être au gouvernement ne l'empêchait pas d'organiser " le mouvement populaire ". Enfin confirmer au gouvernement que celui-ci pouvait compter sur l'allié PCF, capable de rallier les mécontents de gauche, et même les opposants déclarés comme LO et la LCR.

Et pour rendre cette démonstration éclatante le PCF a annoncé qu'il allait voter la loi Aubry à la veille de la manifestation. Une manifestation " pour l'emploi " qui réunissait une majorité de convaincus, y compris dans les rangs du PCF, que cette seconde loi Aubry (amendée ou pas) est " pourrie " : sans incidence sur l'emploi mais avec pour conséquences une nouvelle augmentation des subventions aux patrons et l'aggravation des conditions de vie et de travail.

La direction du PCF tenait ainsi à souligner sa politique. C'est pourquoi elle n'a pas pris de gants pour annoncer ce que l'extrême gauche savait inévitable depuis le début et que tant des manifestants craignaient ouvertement ou tout au fond d'eux-mêmes : que le PCF après avoir menacé de ne pas voter, s'incline une nouvelle fois. Elle tenait sans doute aussi à montrer à quel point elle était sûre d'elle.

Et à ce point de l'opération elle pouvait l'être.

Il n'était pas dans les possibilités de LO et la LCR d'amener Robert Hue à changer de politique. Mais il n'était pas nécessaire de lui faciliter la tâche comme elles l'ont fait.

Les deux organisations ont eu parfaitement raison en répondant à sa proposition d'organiser ensemble une manifestation pour l'emploi. Mais pas en ne bataillant pas ouvertement sur les objectifs de cette manifestation, en ne proposant même pas publiquement au PCF de lui donner pour but " l'interdiction des licenciements " au lieu du vague (et bien commode pour ceux qui s'apprêtent à trahir) " non au chômage ", en signant un appel qui reprenait la seule politique et les seuls objectifs (des plus flous évidemment) du PCF. En renonçant ainsi LO et la LCR lui indiquaient d'avance qu'elles se contenteraient de peser par la seule présence de leurs troupes (fort réussie d'ailleurs) et non par des propositions explicites et une politique offensive.

Ce dont Robert Hue avait besoin en l'occurrence c'est de la seule présence de LO et la LCR. Ce dont il avait besoin c'est des organisations dont l'opposition au gouvernement ne fait de doute pour personne, même quand elles-mêmes la mettent en sourdine. C'était même là un des aspects essentiels de sa démonstration.

Robert Hue a eu ce qu'il voulait. Et au moindre frais (car il avait pris le risque de payer plus). La LCR demandait " une vraie loi sur les 35 heures "... comme si celle que les députés communistes, verts, MDC avec qui Alain Krivine et Arlette Laguiller ont défilé au coude à coude samedi vont voter n'était pas une " vraie " loi, bien trop " vraie " pour les travailleurs qui vont en subir les effets. Comble du comble, une majorité de LO ne disait pas un mot de cette loi ni dans ses slogans ni sur ses banderoles. Le cortège de la LCR portait un lénifiant " il faut obliger le gouvernement à changer de politique ". Celui de LO pas une ligne pour dénoncer explicitement ce gouvernement qui aide les patrons à supprimer des emplois, quand il n'en supprime pas lui-même (voir la réforme de la santé et les fermetures d'hôpitaux ou le plan dans l'automobile qui vise à remplacer 40 000 anciens par... 15 000 nouveaux). Et pour l'anecdote mais significatif : l'obligation fut faite à la fraction de laisser au vestiaire une banderole dénonçant " patronat licencieur, gouvernement complice ". Celle-ci n'aurait pas modifié le caractère de la manifestation, même pas l'aspect général du seul cortège de LO. Mais il ne fallait pas que dans celui-ci il y ait la moindre attaque explicite contre le gouvernement, c'est-à-dire la politique anti-ouvrière de la direction du PCF qui participe à ce gouvernement. Oui, vraiment, Robert Hue n'en demandait sans doute pas tant.

" Mercredi, nous allons nous retrouver, tous les organisateurs, soit une vingtaine de formations et associations, y compris l'extrême gauche, pour tirer le bilan et voir comment ce nouveau mouvement de résistance à la mondialisation peut faire émerger des solutions nouvelles, concrètes " (Robert Hue au Journal du Dimanche). Ainsi fort de son premier succès le PCF entend l'exploiter en maintenant le front informel constitué samedi. Avec la " mondialisation " comme cible. Parfait pour le MDC, pour les Verts, pour Jospin lui-même, parfait pour le PCF qui peut continuer ainsi à " faire pression " sur un gouvernement auquel il peut participer puisque ce gouvernement se veut lui-même un rempart contre cette " mondialisation ".

Mais pour l'extrême gauche, pour l'emploi et contre le chômage, raison d'être du front ébauché avec le PCF samedi ? LO ne va-t-elle pas regretter de n'avoir pas été bien plus explicite dans ses raisons d'en faire partie comme dans ses propositions ?

Rien n'est définitif évidemment. Une occasion perdue sera vite oubliée si LO et LCR ne se laissent pas perdre dans les faux, vagues ou confus objectifs sur lesquels Robert Hue veut regrouper autour de lui un front d'organisations. Si elles proposent au contraire l'action et la mobilisation communes sur des objectifs limités peut-être mais précis et correspondant aux intérêts des travailleurs. Et c'est bien au moment où Robert Hue montre tant d'intérêt à garder le contact avec l'extrême gauche, qu'il convient de faire ces propositions au PCF.

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