Russie : Les milliards de dollars des pillards au pouvoir03/09/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/09/une-1625.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Les milliards de dollars des pillards au pouvoir

Plus le temps passe, plus s'alourdit l'addition des détournements de fonds effectués par les dirigeants russes, au moins pour ce qu'en révèle la presse.

Mi-août, les journaux avançaient le chiffre de 200 millions de dollars " blanchis " par l'entremise d'une banque américaine. On l'estime désormais à une vingtaine de milliards de dollars (plus de 120 milliards de francs). Sur ce total, provisoire à en croire les enquêteurs américains, la moitié viendrait de prêts du Fonds Monétaire International (FMI) à la Russie, captés par une douzaine de dignitaires du Kremlin et leurs proches formant la " famille " car ce cercle regroupe... une poignée de favoris et parents du président Eltsine.

Un aspect du pillage de la russie...

De telles sommes donnent une idée du pillage auquel se livre la couche des bureaucrates au pouvoir en Russie.

20 milliards de dollars raflés par une seule " famille ", cela correspond précisément au cumul depuis 1992 des crédits du FMI à ce pays. Un pays dont la population est enfoncée dans la misère par ceux auxquels leur position au pouvoir permet de faire main basse sur tout ce qui passe à leur portée : des salaires et pensions de dizaines de millions de travailleurs au budget des régions, en passant par les matières premières, etc.

100 à 150 milliards de dollars se seraient ainsi " évaporés " en huit ans depuis la disparition de l'Union Soviétique, selon le FBI. Cela a saigné la Russie à blanc tandis que ces milliards atterrissaient, après un détour par les Etats-Unis et de multiples sociétés écrans, sur des comptes financiers off shore du Pacifique, des Caraïbes ou dans des paradis fiscaux tout proches : en Suisse, à Monaco, dans l'île de Man ou les îles anglo-normandes.

Le transfert de sommes aussi importantes ne pouvait pas passer inaperçu des autorités et banquiers occidentaux qui les ont reçues. Et à lire le récit circonstancié fait par les journaux des tribulations des fonds russes blanchis en Occident, les enquêteurs n'ont pas eu trop de mal à en retrouver la trace ainsi que les bénéficiaires. Autant dire que l'étonnement plus ou moins choqué qu'affectent à ce sujet les dirigeants occidentaux n'est qu'hypocrisie.

... Auquel la bourgeoisie occidentale trouve son profit

En effet, ces derniers ne pouvaient pas ignorer où passaient les crédits de la prétendue " aide " à la Russie, sans parler du produit de la mise en coupe réglée du pays par la bureaucratie. Et, quoiqu'ils cherchent à le faire oublier, ils ont trouvé leur compte aux agissements des dirigeants russes.

" Des prêts étaient préférables à la faillite de la Russie " a déclaré le directeur général du FMI. Autrement dit, en subventionnant le régime russe et en laissant ses chefs se servir au passage, les dirigeants de la bourgeoisie mondiale ont cher-ché à se garantir contre l'instauration, sur les ruines de l'ex-URSS, d'un chaos aux conséquences imprévisibles. S'il fallait pour cela présenter Eltsine et ses pareils comme des modèles de " démocratie ", les Clinton, Mitterrand, Chirac ou Blair ne trouvaient pas cela trop cher payé. D'autant plus que finalement cela ne leur coûtait rien. Au contraire.

Ils ont conforté le régime russe et lui ont donné les moyens de faire régner leur " ordre mondial " dans sa zone d'influence, avec une efficacité certes relative mais en évitant un embrasement du Caucase ou de l'Asie centrale que les puissances occidentales auraient été en peine d'éteindre.

Il leur fallait aussi renforcer ce régime pour qu'il y ait, sur place, une autorité à même de faire payer à la population les crédits d'une " aide " dont elle n'a jamais vu la couleur. Que le service de la dette (le remboursement des intérêts et des prêts que la Russie a reçus) représente 90 % du produit intérieur russe importe peu aux dirigeants et banquiers occidentaux : ce qui compte pour eux, c'est qu'il y ait un Etat pour présenter la note aux travailleurs et aux démunis. Qu'il soit corrompu jusqu'à la moelle et affiche des moeurs de gangster ne les gêne guère : dans le Tiers Monde, c'est souvent sur de tels régimes que l'impérialisme s'appuie pour tirer jusqu'à la dernière goutte de leur sang aux peuples les plus pauvres de la planète.

Ce que les tenants de l'Etat local détournent, l'impérialisme le fait payer à la population, et même deux fois plutôt qu'une. Les révélations sur les " affaires " du Kremlin le montrent : ce n'est pas en Russie mais dans les banques et l'immobilier d'Occident que les bureaucrates placent ce qu'ils volent.

Deux mondes

Si ce grand déballage intervient en ce moment, alors que ces scandales ne datent pas d'hier, cela ne doit rien au hasard mais en bonne part au fait que des élections présidentielles approchent, aux Etats-Unis comme en Russie.

En Amérique, les Républicains, dans l'opposition, ne sont pas mécontents de présenter les choses comme le fruit de la politique dispendieuse pour les contribuables de Clinton et de son vice-président Al Gore, candidat démocrate à l'élection présidentielle.

En Russie, où doivent se succéder des élections législatives et présidentielle, on assiste à une empoignade générale au sommet autour de la succession d'un Eltsine qui n'a pas le droit de se représenter. Les " révélations " sur les turpitudes de sa " famille " participent de la lutte entre clans dirigeants, celui du président russe semblant surtout préoccupé de se prémunir, lui et ses milliards, de poursuites quand il ne pourra plus, comme maintenant, destituer les juges enquêtant sur ses affaires.

Et la population ? Elle a bien d'autres problèmes, à commencer par celui de survivre, pour se préoccuper de savoir si les deux filles d'Eltsine ont bien reçu en pot-de-vin l'équivalent d'un million de francs pour leurs dépenses courantes lors d'un séjour privé en Hongrie. Qu'est-ce qu'une telle somme, et plus encore les milliards de dollars détournés par les mêmes, représentent, par exemple, pour des enseignants qui doivent assurer la rentrée ces jours-ci sans avoir été payés depuis des mois ? Et alors que les parents d'élèves devront, cette année encore dans certaines régions, se cotiser - s'ils le peuvent, car eux aussi ne touchent souvent qu'avec retard un salaire équivalent à quelques centaines de francs - pour que les instituteurs ne fassent pas la classe le ventre vide.

Alors, la population regarde tout cela avec dégoût mais sans suprise car elle est payée, si l'on ose dire, pour savoir que ses gouvernants sont des voleurs. Et elle ne doit guère s'étonner que les partis dits d'opposition se gardent de chercher à la mobiliser contre " les voleurs au pouvoir ". Ces partis, y compris ceux qui ont parfois employé cette expression, auraient trop à perdre à une surenchère sur ce terrain, tous étant impliqués à un niveau ou à un autre dans le pillage du pays et de la population. A commencer par le principal rival d'Eltsine, et à l'origine des " fuites " sur sa fortune, le notoirement corrompu et richissime maire de Moscou, Loujkov.

Pourtant, pour que l'on ne voie plus, comme ces jours-ci à Toula en Russie centrale, deux cents anciens sauveteurs de Tchernobyl réduits à faire la grève de la faim pour protester contre la réduction de leurs maigres indemnités alors qu'ils ont été irradiés et que, dans la presse russe, s'étale la preuve d'une partie de ce que les dirigeants russes détournent, il faudra bien que toute la population chasse les voleurs du pouvoir. Il faudra qu'elle mette au pas tous ces parasites, mafieux et bureaucrates, et cela, du haut en bas de l'échelle sociale, du Kremlin aux régions les plus reculées, qu'elle leur retire tout pouvoir de nuire, de saccager l'économie, de piller le pays et ses travailleurs. C'est la seule voie pour que l'immense majorité de la population russe ne sombre pas dans une misère de plus en plus noire tandis que " ses " dirigeants se vautrent dans les " affaires " avec pour seule devise : " Après nous, le déluge ".

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