Timor-Oriental : À l'ombre des bourreaux, les profits des groupes pétroliers10/09/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/09/une-1626.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Timor-Oriental : À l'ombre des bourreaux, les profits des groupes pétroliers

Les généraux de Suharto, qui ont imposé dans le sang l'occupation militaire indonésienne à la population du Timor-Oriental pendant 24 ans, l'ont fait d'autant plus volontiers qu'ils y trouvaient leur compte à titre personnel. Certains d'entre eux s'y étaient taillé de véritables fiefs féodaux, à commencer par le général Prabowo, gendre de Suharto et commandant suprême des forces d'occupation, qui contrôlait des dizaines de kilomètres carrés de terres fertiles et de forêts de bois de santal. Ce n'est évidemment pas pour rien que le même Prabowo fut à l'origine des premières milices " anti-indépendantistes " à Timor - les prédécesseurs de celles qui terrorisent aujourd'hui la population - pour accomplir les plus basses besognes de l'armée sans avoir à en répondre à d'autres qu'à ceux qui les avaient recrutées, c'est-à-dire Prabowo et son clan à qui elles servaient également de milices privées.

Mais derrière Prabowo et les multiples combines plus ou moins louches qui caractérisaient les activités d'entrepreneurs du clan Suharto, se cachaient d'autres intérêts économiques, bien plus puissants, bien plus " respectables " aussi, pour qui le Timor-Oriental constituait également un enjeu considérable - ceux des grands groupes pétroliers internationaux.

Au début des années 1970, toute une série de compagnies pétrolières - dont PetroFina, Elf-Aquitaine, BP, Shell, Chevron, BHP, pour ne citer que les plus importantes - en étaient arrivées à la conclusion que le goulot d'étranglement de l'Océan Indien situé entre le Timor-Oriental et l'Australie contenait des réserves considérables en pétrole et en gaz naturel. La mise en exploitation de ces gisements supposait néanmoins de régler un vieux conflit entre le Portugal, dont le Timor-Oriental était encore une colonie, et l'Australie - conflit portant justement sur l'étendue de leurs eaux territoriales au-dessus des futurs bassins pétrolifères.

Le départ du colonisateur portugais ne régla pas pour autant le problème des compagnies pétrolières, le nouveau régime indépendantiste s'obstinant à refuser les exigences léonines de l'Australie. Aussi les groupes pétroliers virent-ils l'occupation du Timor-Oriental par Suharto d'un oeil encore plus favorable, si c'était possible, que les dirigeants des grandes puissances. Et presque aussitôt des négociations s'ouvrirent entre Jakarta et Canberra sur le partage des eaux territoriales du Timor-Oriental.

Suharto se montra plus dur au marchandage que ne l'auraient souhaité les pétroliers. Il fallut pas moins de treize ans pour en arriver à un traité, signé en 1989, qui laisse enfin la voie libre à l'exploitation des bassins pétrolifères du Timor-Oriental. Au passage, en plus de concessions matérielles significatives, Suharto remportait un succès diplomatique de taille. Lui qui avait été mis, au moins symboliquement, à l'index de toutes les instances internationales pour l'occupation sanglante du Timor-Oriental, obtenait dans ce traité, signé avec l'accord tacite des grandes puissances, la reconnaissance formelle de la souveraineté indonésienne sur ce même Timor-Oriental.

C'est ainsi que les groupes pétroliers ont pu enfin se partager les ressources du littoral du Timor-Oriental, non sans laisser des profits substantiels au régime de Suharto et surtout aux membres de son clan, comme paiement des sanglants services qu'ils leur avaient rendus à cette occasion.

Aujourd'hui, il y a tout lieu de penser que les clans de l'appareil d'Etat indonésien qui orchestrent les exactions des milices " anti-indépendantistes " le font au moins en partie pour défendre les intérêts matériels gagnés sous la dictature.

Mais dans cette affaire, les intérêts pétroliers ne sont certainement pas neutres. La perspective d'un régime qui pourrait faire valoir ses droits sur les ressources naturelles du pays, comme le fait le leader nationaliste Xanana Gusmao, ne peut que les inquiéter. L'enjeu est trop important pour eux. De là à penser que certains des " riches capitalistes " qui selon certains journalistes financeraient les milices terroristes pourraient avoir leur siège social à Washington, Londres ou Paris... Que valent quelques milliers de vies humaines au Timor-Oriental face à la bonne tenue de la cote boursière des grands groupes pétroliers ?

Partager