Italie, septembre 1943 : de l’écroulement de l’État à son rétablissement grâce au PC stalinien04/10/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/10/2879.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Italie, septembre 1943 : de l’écroulement de l’État à son rétablissement grâce au PC stalinien

Le 8 septembre 1943, le gouvernement Badoglio, en place depuis la destitution de Mussolini 45 jours auparavant, concluait un armistice avec les puissances anglo-américaines. Cet armistice mettait brusquement fin à l’alliance de l’Italie avec l’Allemagne, qui riposta immédiatement en prenant le contrôle d’une grande partie de la péninsule.

Le gouvernement, le roi Victor-Emmanuel III et les hauts cadres de l’État décidaient aussitôt de fuir Rome, abandonnant la population à son sort et se réfugièrent à Brindisi, dans le sud du pays, que les Alliés contrôlaient depuis le débarquement de leurs troupes en Sicile, deux mois plus tôt.

Suite à cette décision, qu’ils apprirent par la radio, des dizaines de milliers de soldats italiens se retrouvèrent sans ordres ni consignes. Toute l’autorité de l’État s’écroulait. Giaime Pintor, un journaliste démocrate bourgeois, décrivait ainsi la situation : « Les soldats qui, en septembre 1943, traversaient l’Italie, affamés et à moitié dévêtus, voulaient avant tout rentrer chez eux et ne plus entendre parler de guerre et de sacrifices. C’était un peuple vaincu, mais ils avaient la conscience des offenses infligées et subies et le dégoût des injustices vécues. »

De son côté, l’armée allemande répondait à ce chaos et au retournement de son allié d’hier en établissant dans le nord du pays un régime fantoche baptisé République sociale italienne. Elle sortit Mussolini de prison pour qu’il incarne cette nouvelle version du fascisme, entièrement soumise à Hitler.

Après que le 25 juillet 1943 Mussolini eut été forcé à la démission et emprisonné, le gouvernement Badoglio et le roi avaient négocié en secret avec les Alliés. Ils voulaient, malgré la chute du régime, sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie italienne et éviter d’être entraînés avec l’Allemagne dans la débâcle.

Après la victoire soviétique à Stalingrad, la guerre avait pris le tournant vers une victoire du camp allié. Du côté de l’Axe, l’Italie accumulait les défaites. C’est dans ce contexte que la grande bourgeoisie et les sommets de l’État avaient préparé leur retournement d’alliance. Outre l’évolution du rapport de force militaire, la crainte d’une explosion sociale les confirmait dans l’idée qu’il était temps de changer leur fusil d’épaule. Ils avaient en effet de quoi s’inquiéter : en mars 1943, en pleine guerre mondiale, sous un régime de dictature en place depuis 21 ans, une vague de grèves partie de Turin s’était étendue aux grandes villes industrielles, révélant non seulement l’exaspération contre la guerre et les souffrances endurées, mais aussi que le régime ne faisait plus peur. À ce propos, Churchill, dans ses Mémoires, constata : « Le fascisme en Italie est mort. Toute trace en a été balayée. l’Italie est devenue rouge du jour au lendemain. »

Le gouvernement Badoglio était pris entre les troupes alliées, qui progressaient dans le sud du pays, et les armées allemandes au nord. En même temps, la colère des masses faisait resurgir le spectre des révolutions ouvrières de la fin de la Première Guerre mondiale. Il imposa donc l’état de siège et interdit les manifestations qui saluaient la chute de Mussolini, tentant de maintenir la dictature contre la classe ouvrière. Mais le chaos qui suivit le 8 septembre et la proclamation de l’armistice marqua l’écroulement de toute autorité et la débandade de l’État italien.

Après le 8 septembre, l’urgence pour la bourgeoisie italienne était de reconstituer un appareil d’État capable d’exercer l’autorité une fois que l’Allemagne serait vaincue. Badoglio et le roi, réfugiés au Sud, tentaient bien difficilement de maintenir un semblant d’autorité étatique, sous la protection des troupes alliées. Mais dans le reste du pays rien n’était joué et l’espoir d’une révolution était désormais bien présent.

Un Comité de libération nationale se forma au nord afin d’imposer son autorité aux différents groupes de partisans, souvent formés des jeunes soldats laissés sans directives, qui aspiraient à en finir avec la guerre et à rentrer chez eux. Le Parti communiste y joua un rôle important. C’est bien la politique de sa direction stalinienne qui allait aider la bourgeoisie à rétablir son autorité.

Si le Parti communiste était présent dans la classe ouvrière, notamment dans les grèves qui reprenaient dans les grandes usines du Nord malgré l’occupation allemande, ce n’était pas pour défendre une perspective de révolution. Les grèves ouvrières, l’engagement de milliers de militants communistes dans la lutte contre les fascistes et l’armée allemande, montraient pourtant qu’elle était possible. Mais pour les dirigeants du PC, c’était surtout la démonstration qu’il faudrait compter avec eux pour rétablir l’ordre bourgeois.

Fin mars 1944, Togliatti, le dirigeant du PC de retour d’URSS où il s’était réfugié, rassurera la bourgeoisie. Dans son discours resté célèbre comme « le tournant de Salerne », du nom de la ville où il fut prononcé, il affirma, conformément à la politique dictée par Staline, qu’il n’était pas question de révolution ouvrière, mais de créer un gouvernement d’union nationale avec toutes les forces politiques opposées aux fascistes.

Les dirigeants communistes firent passer cette politique de collaboration de classes auprès de leur base comme une « première étape » de la révolution, nécessaire pour libérer le pays du fascisme avant de libérer la classe ouvrière. Mais l’escroquerie allait se prolonger. Le 25 avril 1945 vit la défaite des armées allemandes et la fin de ce qui restait des autorités fascistes, suivies de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale comprenant trois ministres communistes, sans même qu’il soit question de détrôner le roi. Selon Togliatti, devenu ministre de la Justice, l’heure n’était toujours pas à la révolution ouvrière car il fallait « reconstruire le pays, avec le sens des responsabilités ».

La classe ouvrière, affamée, qui survivait au milieu des ruines, était donc priée par les dirigeants de son parti de se retrousser les manches et d’accepter la surexploitation nécessaire pour que la bourgeoisie italienne puisse continuer, en temps de paix, à faire autant de profits qu’en temps de guerre.

En guise d’ersatz de révolution, le PC allait finalement accepter le remplacement de la monarchie, décidément trop compromise avec le fascisme, par la république. Proclamée en 1946, elle devint dans son langage la « république née de la résistance » et « fondée sur le travail », et sa Constitution « la plus démocratique du monde ». Ces mythes allaient servir, durant toute la période suivante, à justifier la trahison des dirigeants staliniens.

Alors que la fin de la guerre avait vu les possibilités révolutionnaires commencer à se concrétiser, alors que l’appareil d’État s’effondrait et que la classe ouvrière se montrait combative et mobilisée, la direction stalinienne dite communiste permit ainsi à la bourgeoisie de rétablir son pouvoir.

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