États-Unis : 1953, l’exécution des Rosenberg02/08/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/08/2870.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 70 ans

États-Unis : 1953, l’exécution des Rosenberg

Le 19 juin 1953, Julius et Ethel Rosenberg étaient électrocutés au pénitencier de Sing-Sing, aux États-Unis. Ils connaissaient le même sort que les anarchistes Sacco et Vanzetti, sacrifiés vingt-cinq ans plus tôt sur l’autel de la chasse aux rouges qui sévissait après la Première Guerre mondiale aux États-Unis afin d’éviter la contagion de la Révolution russe.

Les Rosenberg furent immolés dans le cadre de la « guerre froide ». La principale puissance impérialiste de la planète, engagée dans la guerre de Corée, préparait l’opinion publique à une éventuelle guerre « chaude » contre l’URSS et la Chine.

C’était l’époque du maccarthysme, de la « chasse aux sorcières » menée par le sénateur du Wisconsin Joseph McCarthy. Le 9 février 1950, celui-ci lança l’attaque contre les fonctionnaires américains suspects de communisme. La traque des militants et sympathisants du Parti communiste commença. Ceux qui étaient poursuivis étaient incités à en dénoncer d’autres.

Cette inquisition avait débuté dès 1938, mais elle s’enflamma après 1945. L’Allemagne et le Japon vaincus, les États-Unis entendaient affirmer leur suprématie vis-à-vis de l’URSS, mais aussi faire taire leur propre classe ouvrière au moment où celle-ci réagissait par des grèves à une situation sociale dégradée par la guerre.

Les bureaucrates dirigeant les syndicats américains chassèrent de leurs rangs des militants communistes ou simplement combatifs. Au sein du CIO, l’organisation syndicale née des conflits grévistes des années trente dans l’industrie, onze fédérations furent dissoutes et un million de syndiqués exclus.

L’inquisition avait frappé dès 1946 les milieux du cinéma. Puis, en 1947, ­McCarthy avait fait enquêter sur deux millions de fonctionnaires, la délation engendrant perte d’emploi, procès et emprisonnement.

La condamnation des Rosenberg

Les Rosenberg furent condamnés sans preuve sérieuse. Julius Rosenberg, arrêté le 17 juillet 1950, et son épouse Ethel, inculpée le 12 août, furent accusés de « complot en vue de commettre le crime d’espionnage » et allaient servir de boucs émissaires aux dirigeants américains.

En 1945, les États-Unis avaient été la seule puissance atomique. À Hiroshima et Nagasaki, ils avaient testé la bombe, officiellement pour « hâter la fin de la guerre », en réalité pour terroriser la population du Japon, empêcher que celui-ci ne tombe dans la sphère d’influence soviétique, voire connaisse une révolution prolétarienne. Cela avait été aussi un message adressé au reste du monde, pour l’avertir que les USA en étaient le patron.

Mais depuis 1949, l’URSS disposait à son tour de la bombe A. Le 1er décembre 1950, en pleine escalade de la guerre de Corée, le président américain Truman se déclara prêt à utiliser la bombe contre l’URSS, si celle-ci menaçait l’Europe au-delà de sa zone d’influence. En réponse, le 3 octobre 1951, l’URSS testa une bombe plus puissante. Pour les dirigeants américains, c’était un camouflet.

Les Rosenberg furent donc des « espions atomiques ». Eux et leurs co-accusés, notamment David Greenglass, le frère d’Ethel, étaient accusés d’avoir transmis le secret de la fabrication de la bombe, comme si les savants soviétiques n’avaient pas pu l’inventer eux-mêmes. Les Rosenberg étaient livrés en pâture à l’opinion publique comme « traîtres à la patrie ».

Coupables de quoi ?

Pourtant, si une grande puissance devait le « secret » de l’arme atomique à des « traîtres », c’était bien les États-Unis, qui avaient bénéficié du travail de physiciens d’origine allemande, Albert Einstein en tête. Adversaires des nazis, ceux-ci avaient informé le gouvernement américain des possibilités militaires de la fission nucléaire, pour que les nazis ne soient pas les premiers à la mettre en œuvre.

Parmi ces savants, certains aussi estimèrent qu’il ne fallait pas que l’arme atomique reste le monopole des USA, tel Klaus Fuchs, physicien du centre de recherche atomique américain de Los Alamos, qui informa l’URSS de 1941 à 1950 sur les recherches américaines.

Les Rosenberg, eux, n’étaient pas des physiciens mais des militants communistes. Lui ingénieur, elle dactylo, s’étaient connus dans les années trente à New York. Ethel fut licenciée après sa première embauche pour avoir appelé ses collègues à résister à un patron rapace. Dans un milieu où, malgré les duperies du stalinisme, les idéaux communistes valaient plus que le « rêve américain », les Rosenberg purent puiser la force de résister à un État décidé à les broyer.

Les Rosenberg estimaient sans doute juste que les secrets de la bombe atomique soient partagés. Mais le service militaire fait par David Greenglass à Los Alamos n’aurait pu lui permettre d’acquérir une quelconque information sérieuse à transmettre à l’URSS. Selon les déclarations faites en 1946 par un concepteur de la bombe, « des données détaillées sur la bombe atomique demanderaient 80 à 90 volumes imprimés serrés, que seul un scientifique pourrait lire ».

Les « aveux » mensongers de Greenglass – il le reconnut des années plus tard – sauvèrent sa peau et condamnèrent à mort sa sœur et son beau-frère. De toute façon, le sort des Rosenberg était scellé avant que l’affaire ne soit jugée. Pour les dirigeants américains, ils devaient être des victimes expiatoires.

Les Rosenberg, qui firent front avec courage, devinrent un symbole. En 1952 et 1953, aux États-Unis et dans bien d’autres pays, dont la France, des comités Rosenberg virent le jour, et des centaines de milliers de manifestants exigèrent leur grâce. En vain.

Leur exécution fut un crime délibéré de l’État américain, que celui-ci ne voulut jamais reconnaître. La requête dans ce sens d’un des fils des Rosenberg, âgé de 73 ans, présentée à Obama en 2016, fut rejetée.

L’affaire Rosenberg reste un exemple des manipulations de l’opinion dont les dirigeants des États-Unis sont capables quand leurs intérêts sont en jeu. On l’a encore vu en 2003 pour l’invention des « armes de destructions massives » de l’Irak lors de l’invasion de ce pays, comme aujourd’hui dans les arguments avancés pour justifier leur engagement dans la guerre en Ukraine.

Partager