Italie : mars 1943, les ouvriers montrent la voie15/03/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/03/2850.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Italie : mars 1943, les ouvriers montrent la voie

Le 5 mars 1943, un mouvement de grève commençait à Turin et gagnait l’ensemble du Nord de l’Italie, où se concentrait une grande partie de la production industrielle. Après plus de vingt ans de dictature fasciste et en pleine guerre mondiale, le prolétariat italien relevait la tête et infligeait un coup au régime de Mussolini.

Les conditions de vie des ouvriers étaient de plus en plus dures. Aux pénuries de marchandises et à l’absence de chauffage, s’ajoutait l’aggravation de l’exploitation, avec des journées de travail de 10 à 12 heures, le rétablissement du travail à la pièce. Tout cela sous les bombes que les armées alliées déversaient sur les quartiers populaires, entraînant des milliers de morts et de blessés et des milliers de familles déplacées ou contraintes de vivre au milieu des ruines.

Les travailleurs devaient se contenter de rations alimentaires parmi les plus basses d’Europe, avec 150 grammes de pain par jour et 100 grammes de viande par semaine. Dans le même temps, la bourgeoisie et les hauts dignitaires du régime fasciste étalaient leur richesse.

La dictature avait supprimé les syndicats, la grève était interdite et passible de l’accusation de haute trahison, mais le régime avait de plus en plus de mal à étouffer le mécontentement. Dès l’année 1942, des mouvements sporadiques avaient éclaté dans des usines du nord du pays pour réclamer l’augmentation des rations alimentaires ou des salaires. En octobre 1942, des ouvrières, qui faisaient la queue depuis des heures devant le magasin de l’usine SPA, avaient pris d’assaut un camion de pommes de terre, le vidant de son contenu. Un rapport de l’OVRA, la police politique fasciste, indiquait alors : « Il y a des arrêts de travail spontanés dans certaines usines et des risques de sabotage. On constate une désaffection diffuse du travail. »

Début 1943, alors que l’impérialisme italien enchaînait les défaites et que les puissances de l’Axe dont il faisait partie perdaient du terrain face aux Alliés, le mécontentement de la classe ouvrière s’exprimait de plus en plus. Ainsi, en février, alors que la ration de matières grasses n’avait toujours pas été distribuée à la fin du mois, les murs de tous les bâtiments officiels de la ville d’Arona, dans la province de Novare, se couvrirent du slogan : « Nous voulons le gras ou la tête du podestà » (le titre du maire sous le régime fasciste).

C’est à Turin que commença un mouvement massif. L’usine Fiat Mirafiori, avec ses 21 000 ouvriers, était la plus importante concentration ouvrière de la ville et c’est d’un de ses ateliers que partit la grève, le 5 mars 1943. Quelques dizaines de militants communistes, malgré la clandestinité, y agissaient.

La grève s’étendit d’abord à deux autres usines turinoises, la Rasetti et la Microtecnica. Puis, en quelques jours, tandis qu’elle cessait dans certaines usines, la grève commença dans d’autres et s’étendit à toute la province, jusqu’au val d’Aoste. À partir du 17 mars, le mouvement toucha la région de Milan et les usines Pirelli, Falck et ­Breda. Il arriva ensuite dans les usines d’Émilie, puis gagna le port de Marghera en Vénétie, pour se conclure dans les usines textiles, où les ouvrières prirent la tête des grèves qui allaient clôturer un mois de mobilisation, le 8 avril.

Malgré les arrestations, les tentatives d’intimidation ou au contraire de trouver un accord, la grève toucha 200 usines et entraîna près de 200 000 travailleurs. Elle prit des formes variées, de la grève de plusieurs jours aux arrêts de chaîne répétés, de 10 minutes à une heure, entrecoupés de grèves du zèle.

Les travailleurs voulaient manger à leur faim et pouvoir nourrir leur famille. La prime que le gouvernement accordait aux travailleurs déplacés, qui équivalait à 192 heures de travail, était revendiquée pour tous, de même qu’une prime de vie chère. Un manifeste rédigé par des militants communistes de Turin et signé « Le comité ouvrier », s’exprimait ainsi le 15 mars :

« Ouvrières et ouvriers turinois. Il a suffi que nous arrêtions de travailler pour qu’on nous promette le paiement des 192 heures et la prime de vie chère. (…) Il faut maintenant nous les payer. Nous en avons assez des promesses, des tromperies, de la misère et de la guerre. [Nous voulons] le droit d’avoir et d’élire nos propres représentants. Ouvrières, ouvriers, la raison, la force et le nombre sont de notre côté. Vive la paix et la liberté ! »

Sous le gouvernement fasciste les revendications économiques prenaient une dimension politique évidente. Les rapports de l’OVRA faisaient part des espoirs entendus dans les usines « que la grève accélère la fin de la guerre et du fascisme ».

La grève contraignit le patronat à accorder des augmentations de salaire et le gouvernement fasciste à promettre des discussions, à partir du mois d’avril, sur l’établissement d’une prime de vie chère. La répression ne s’abattit que dans un deuxième temps, avec près de 2 000 ouvriers arrêtés et une partie d’entre eux traduits devant les tribunaux spéciaux.

Loin d’être brisée, la résis­tance ouvrière allait se manifester à nouveau les mois suivants, alors que le régime fasciste était lâché par la bourgeoisie et par ses propres dignitaires, sous la pression des forces alliées et du débarquement anglo-américain, qui allait intervenir en Sicile en juillet 1943.

Pour les militants révolutionnaires de l’époque, la signification de ces évènements était claire. En France, les camarades à l’origine de notre courant politique écrivaient dans leur revue clandestine Lutte de classe, en août 1943, un article intitulé « Les ouvriers italiens montrent la voie » disant : « À travers les informations tronquées (…) les événements d’Italie parlent un langage suffisamment clair pour qu’on ne puisse pas se méprendre sur leur sens. Ce sont les masses ouvrières qui, par des grèves puissantes, dans les villes industrielles du Nord, notamment à Milan, appuyées par tout le mécontentement populaire, ont précipité la chute du fascisme. (...) Elles ne pourront que recommencer au fur et à mesure que les masses prolétariennes et les soldats auront fraternisé pour des buts communs. »

La crainte était réelle, du côté de l’impérialisme, que la fin de la guerre voie l’irruption des masses ouvrières sur la scène politique comme cela avait été le cas lors de la vague révolutionnaire de 1917-1920. En juillet, lors de la destitution de Mussolini par le Grand Conseil du fascisme, Churchill s’inquiétait d’une possibilité de guerre civile et du « bolchévisme rampant » parmi la classe ouvrière italienne. Ces craintes, la direction stalinienne du Parti communiste allait les calmer en se faisant l’artisan principal d’un Front national mettant la classe ouvrière à la remorque des intérêts de la bourgeoisie, prémices d’une politique contre-révolutionnaire qui allait être menée dans toute l’Europe à la fin de la guerre.

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