Amiante : la justice contre les victimes17/01/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/01/LO2633.jpg.445x577_q85_box-0%2C37%2C746%2C1004_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Amiante : la justice contre les victimes

Comment les victimes de l’amiante peuvent-elles obtenir un procès pénal, qui établirait la responsabilité des industriels et de leur Comité permanent amiante (1982-1995) dans l’utilisation de cette fibre cancérigène qui cause 3 000 morts par an ? Depuis vingt-deux ans, aucune des nombreuses plaintes déposées par des associations de victimes n’a abouti.

La façon dont la justice a tout fait pour rendre nulles les plaintes de travailleurs de l’usine sidérurgique Sollac Dunkerque (aujourd’hui ArcelorMittal) est significative.

La fibre d’amiante fut utilisée partout sur ce site pour ses propriétés d’isolant thermique et électrique, bien que reconnue cancérigène en France depuis 1973. En 1996, l’association régionale des victimes de l’amiante (Ardeva) déposait une plainte. En 2005, après jugement et appels, celle-ci était définitivement rejetée, au nom de la loi Fauchon sur l’impossibilité de condamner les délits non intentionnels !

Peu de temps après, une nouvelle plainte de trois travailleurs de Sollac, soutenue par l’Ardeva, fut déposée. La justice ne fit pas les enquêtes nécessaires. Le procureur allait même tenter en 2013 de faire renoncer les victimes. Puisqu’un procès général allait avoir lieu, disait-il, il n’était pas utile que des plaintes par usine soient déposées. Sauf que ce procès général s’est encore éloigné après le dessaisissement en mars 2013 de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy qui l’instruisait au Pôle de santé publique à Paris.

Le 22 mai 2017, la justice envoyait aux plaignants un avis selon lequel l’instruction devait s’arrêter, car il n’était pas possible de connaître le début de l’empoisonnement et donc d’inculper qui que ce soit. Cela au nom d’un rapport médical qui ne disait pas du tout cela, mais au contraire que l’intoxication des travailleurs avait commencé dès l’embauche. Les victimes ayant demandé la nomination d’un expert scientifique, la justice la leur refusa et la chambre de l’instruction alla même jusqu’à refuser de transmettre un appel en novembre 2017, refus qui allait être confirmé en mai 2018.

Face à ce mur judiciaire, l’Ardeva déposa une nouvelle constitution de partie civile pour 161 travailleurs de Sollac Dunkerque en octobre 2017. Treize jours plus tard, la justice la déclarait irrecevable. Les plaignants firent appel. Le 14 décembre 2018, la cour d’appel la jugeait recevable, ouvrant la voie à une instruction et à un procès pénal. Mais le 20 décembre le procureur général, qui est placé sous l’autorité du ministre de la Justice et donc du gouvernement, demandait à la Cour de cassation de prononcer l’irrecevabilité. Cependant les plaignants ne baissent pas les bras et comptent poursuivre la procédure.

L’Association nationale des victimes de l’amiante et autres polluants (AVA), née de la fusion de l’Ardeva et du comité anti-amiante de la faculté parisienne de Jussieu, a annoncé qu’elle déposerait une citation directe collective des responsables de l’intoxication à l’amiante devant le tribunal de grande instance de Paris. À cette démarche pourraient s’associer toutes les victimes, quelle que soit l’entreprise dans laquelle elles ont travaillé.

Au-delà de l’amiante, l’AVA veut aussi mettre en cause l’utilisation d’autres polluants, comme le glyphosate, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, dont les conséquences sanitaires peuvent être aussi dramatiques que l’amiante dans les années à venir. C’est un long combat, pleinement justifié, mais qui visiblement se heurte à des intérêts puissants qui savent se faire entendre en haut lieu.

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