Argentine : la présidente des Mères de la place de Mai convoquée par un juge31/08/20162016Journal/medias/journalarticle/images/2016/08/p7_Buenos_Aires_Madres_C_LO.JPG.420x236_q85_box-0%2C243%2C2592%2C1701_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : la présidente des Mères de la place de Mai convoquée par un juge

Le 5 août dernier, comme chaque jeudi après-midi à Buenos Aires, avait lieu la 2000ème ronde des Mères de la place de Mai devant le palais présidentiel. Depuis 1977, ces mères de militants protestent ainsi contre l’assassinat de 30 000 opposants à la dictature qui ensanglanta l’Argentine de 1976 à 1983. Mais ce jour-là, la présidente de l’association, Hebe de Bonafini, 87 ans, était convoquée par un juge qui enquête sur des détournements de fonds au sein de son association.

Illustration - la présidente des Mères de la place de Mai convoquée par un juge

Le juge souhaitait l’entendre sur l’utilisation faite par son association de fonds publics destinés à un programme de logements sociaux, confiés par son alliée politique, la péroniste Cristina Kirchner, quand elle était encore présidente. La police voulant appréhender Hebe, ses partisans se sont massés devant le siège de l’association et ont empêché son arrestation. Le mandat d’amener a été annulé depuis et elle a accepté de rencontrer le juge.

En 2011, la justice avait désigné l’ex-fondé de pouvoir des Mères, Sergio Shocklender, comme seul responsable de ce détournement de 53 millions de dollars. Depuis, celui-ci accuse Hebe de Bonafini et les Mères d’avoir financé des campagnes électorales, dont celle de Cristina Kirchner. La présidente des Mères a réagi en traitant l’actuel président de droite Macri de « fils de pute » et « dictateur ». Depuis son élection, ce dernier cherche en effet à discréditer les soutiens des Kirchner, le couple péroniste qui a occupé la présidence pendant douze ans, notamment à travers des affaires de corruption... nombreuses.

Les Mères de la place de Mai avaient eu le courage de lancer leurs rondes en pleine dictature. Les premières dirigeantes ayant été assassinées par l’armée, Hebe de Bonafini leur a succédé en 1979. De la fin de la dictature en 1983 à l’arrivée des Kirchner aux affaires en 2003, elle s’est investie avec son association dans la dénonciation des crimes des militaires et la poursuite des tortionnaires de tous grades, gagnant dans ce combat, notamment par son franc parler, une grande popularité, y compris dans le monde.

Mais, à partir de 2003, elle a lié son association aux Kirchner, qui cherchaient des soutiens sur leur gauche. En leur apportant sa notoriété et celle des Mères, Hebe de Bonafini a bénéficié de subventions pour son association. Mais elle est devenue une caution sans faille de la politique des Kirchner, y compris la répression des ouvriers combatifs, dont six mille ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Elle n’a pas protesté quand Cristina Kirchner a nommé à la tête de l’armée un général connu pour sa répression d’opposants pendant la dictature. Même silence quand un témoin-clé d’un procès contre des militaires, Jorge Julio Lopez, a disparu en 2006 ou quand des bureaucrates syndicaux ont assassiné un étudiant trotskyste, Mariano Ferreyra, venu soutenir des grévistes en 2010.

Que la présidente des Mères de la place de Mai se trouve prise dans les règlements de comptes qui déchirent les deux clans se disputant le pouvoir en Argentine découle de ses choix politiques mais, quelle qu’en soit l’issue, cela ne peut effacer quarante années de lutte des Mères de la place de Mai, qui ont imposé la reconnaissance des crimes de l’armée et des poursuites contre quelque cinq cents de ses cadres.

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