Été 1936 : des premiers congés payés à la contre-attaque patronale10/08/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/08/2506.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Été 1936 : des premiers congés payés à la contre-attaque patronale

En août 1936, des centaines de milliers de familles ouvrières découvraient les joies des vacances. Les congés payés étaient en effet devenus un droit pour tous les salariés, et on comprend la joie de tous ceux qui, à cette occasion, purent pour la première fois partir pour quelques jours de liberté.

On présente souvent aujourd’hui cette conquête de Juin 1936 comme due au Front populaire, cette « union de la gauche » réalisée à l’époque derrière le socialiste Léon Blum. La réalité est très différente. Le programme du Front populaire ne comportait ni les congés payés, ni les 40 heures, et si le Parti communiste le soutenait, ce n’est pas qu’il présentait de réelles avancées pour les travailleurs. C’était sur injonction de Staline, à une époque où il cherchait contre Hitler l’alliance des bourgeoisies « démocrates » de France et d’Angleterre, à qui il voulait montrer qu’il avait rompu avec toute politique révolutionnaire.

Ce qui changea la donne, après la victoire électorale du Front populaire aux élections législatives du printemps 1936, fut l’irruption de la grève. Face au patronat, la classe ouvrière ne voulait pas s’en remettre passivement au gouvernement. La grève gagna peu à peu tout le pays et toucha toutes les catégories de salariés, dont beaucoup ne s’étaient jamais mis en grève auparavant. Pour la première fois en France, les ouvriers occupaient massivement les usines. Pour les patrons, c’était une attaque frontale contre leur propriété privée. Pour reprendre le contrôle de la situation, ils firent pression sur le nouveau gouvernement afin qu’il trouve rapidement une issue à la crise.

Le gouvernement Blum réunit donc les représentants patronaux et syndicaux à Matignon. En une nuit, ceux-ci se mirent d’accord sur la reconnaissance du droit syndical, le principe de contrats collectifs, l’institution de délégués ouvriers élus et le réajustement des salaires de 7 à 15 %. Cela ne suffit cependant pas pour arrêter les grèves. Il fallut pour cela que les dirigeants des partis ouvriers mettent tout leur poids dans la balance, comme Maurice Thorez, le dirigeant du PCF, avec sa célèbre formule : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. »

En parallèle, Blum faisait passer en urgence, entre le 9 et le 12 juin, les lois sur les congés payés et la semaine de 40 heures. La Chambre des députés et le Sénat les votèrent à la quasi-unanimité, droite incluse. Il s’agissait d’arrêter coûte que coûte la marée gréviste. Le texte législatif était simple : pour tous les salariés liés à un employeur par un contrat de travail, la durée des congés payés serait de quatorze jours, dont douze ouvrables, après un an de services continus, et d’une semaine, dont six jours ouvrables, pour six mois de services.

Ainsi, en quelques jours, fut adoptée une réforme sociale considérée comme utopique pendant des décennies. Que les patrons payent pour que les ouvriers se reposent : voilà qui faisait date et bouleversait l’existence des travailleurs, même si tous ne partirent pas en vacances pour autant. Blum se vanta ensuite d’avoir eu « le sentiment d’avoir, malgré tout, apporté une embellie, une éclaircie dans des vies difficiles, obscures ».

Mais pendant que les ouvriers étaient éloignés pour l’été, la revanche se préparait déjà. La presse de droite se déchaîna contre les « salopards en casquette » qui allaient souiller la Côte d’Azur et autres lieux de villégiature où les bourgeois étaient entre eux. Elle stigmatisait la paresse et « l’esprit de jouissance » encouragé chez les travailleurs par le gouvernement Blum. En réalité, la bourgeoisie française avait eu peur et commençait à se sentir soulagée en voyant la vague gréviste refluer. Et au moins, les ouvriers en vacances ne penseraient plus à occuper les usines !

En fait, les congés payés, comme les autres concessions faites par le gouvernement de Front populaire et le patronat, avaient aussi un avantage. Ils contribuaient à démobiliser les travailleurs face à la contre-attaque qui se préparait, mais aussi au moment où en Espagne, le coup d’État de Franco contre le gouvernement de Front populaire se heurtait à une mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière dont celle de France aurait dû être l’alliée naturelle.

À la fin de ces années trente, l’enjeu en Europe était la révolution ou, une nouvelle fois, la barbarie d’une guerre mondiale qui approchait à grands pas. Le gouvernement de Front populaire n’était qu’un camouflage momentané du pouvoir du patronat. Dès septembre 1936, quand celui-ci releva la tête et refusa d’appliquer les lois sociales de juin, le gouvernement Blum ne fit rien pour le contraindre. Trois ans après, alors qu’en Espagne la classe ouvrière était écrasée, en France la guerre réduisait à néant les conquêtes sociales de 1936. Faute d’être allé jusqu’au bout de ses possibilités, le puissant mouvement de la classe ouvrière laissait la place à une nouvelle tragédie.

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