La bataille de la Somme : un million de victimes29/06/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/06/2500.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

La bataille de la Somme : un million de victimes

Il y a cent ans, le 1er juillet 1916, débutait la bataille de la Somme. Elle allait durer 141 jours, jusqu’au 18 novembre 1916. Bien qu’elle ait été une des plus meurtrières de la Première Guerre mondiale, elle reste en France la « bataille oubliée ». En revanche, pour les Britanniques, elle symbolise l’horreur de cette guerre voulue par des bourgeoisies concurrentes, et les massacres de soldats commandités par les états-majors pour la conquête de quelques kilomètres.

L’idée d’une offensive conjointe entre les troupes françaises et britanniques avait été adoptée fin 1915 par les deux chefs d’état-major, Haig et Joffre. Le lieu choisi fut la Somme, point de jonction des deux armées. Primitivement prévue pour le 1er août, Joffre avait pressé son homologue britannique pour que l’offensive débute un mois plus tôt, afin de soulager la pression que les troupes allemandes exerçaient sur l’armée française à Verdun. La direction des opérations revint au commandant en chef de l’armée britannique en France, Douglas Haig.

Avec 26 divisions britanniques et 14 françaises, comptant en tout 600 000 soldats, les Alliés avaient sans conteste la supériorité numérique. Pourtant, dès le premier jour de la bataille, ce fut une défaite sanglante pour les troupes britanniques.

Une hécatombe dès le premier jour

L’offensive, du côté britannique, avait été précédée par une semaine de bombardements intenses sur les tranchées allemandes, d’une violence telle que le paysage en garde encore des marques. Ils n’eurent pas l’effet escompté. Les généraux qui dirigeaient l’offensive étaient persuadés que le système de défense allemand avait été détruit et avaient prévu que les troupes pourraient y prendre pied ; les soldats étaient donc lourdement chargés. Afin de ménager les troupes, il leur avait été ordonné de marcher au pas, ce qui les conduisit directement à l’abattoir.

Or les tranchées allemandes, creusées dans une roche calcaire dure, n’avaient été que peu touchées, et elles formaient en outre un réseau solide s’enfonçant loin du front sur plusieurs kilomètres ; les barbelés qui barraient le passage étaient eux aussi peu détruits. De plus, les forces allemandes, situées en hauteur par rapport à leurs assaillants, avaient l’avantage du terrain. Chaque vague de soldats britanniques qui s’avançait fut fauchée dans sa progression. Le bilan de la journée fut lourd : 58 000 pertes du côté britannique, dont un tiers de morts, 12 000 du côté allemand. Les troupes françaises furent proportionnellement moins touchées.

De nombreuses causes peuvent expliquer l’échec de cette offensive. D’abord, l’attaque n’avait pas été une surprise pour l’état-major allemand, ayant été précédée par une semaine de bombardements.

À cela s’ajoutait l’inexpérience des combattants britanniques. Les soldats et officiers de l’armée de métier avaient été décimés dans les premiers mois de la guerre, et les troupes, tout comme leurs officiers, étaient composées de recrues de fraîche date. C’étaient des volontaires engagés suite à la campagne lancée par le ministre de la Guerre Kitchener, qui avait formé des « bataillons de copains », regroupant entre eux les volontaires de mêmes villages, quartiers, clubs sportifs, universités, etc. Si cette forme de bataillon avait créé une certaine solidarité entre les soldats, elle a aussi eu pour conséquence, lors de la bataille, d’exterminer en une fois les hommes issus d’un même groupe social ! Quant aux soldats recrutés par la conscription obligatoire, votée en janvier 1916, ils étaient encore à l’entraînement.

Cependant, la principale raison de cette hécatombe réside dans l’incompétence des généraux.

« Des lions commandés par des ânes »

Le terrible bilan de cette première offensive n’empêcha pas le général Haig de poursuivre la bataille. Le 15 septembre apparut une innovation technique : l’emploi de chars. Ces « cercueils roulants » étaient tellement peu fiables que, sur les 49 prévus au départ, seuls la moitié d’entre eux fonctionnèrent, et encore plus ou moins bien. Quelques kilomètres furent bien conquis sur l’ennemi, pour être reperdus plus tard.

Ce grignotage de terrain de part et d’autre dura jusqu’à la fin. Attaques et contre-attaques se succédèrent, les soldats survivant dans le même enfer de boue des tranchées qu’à Verdun, avant d’être envoyés à la mort pour la gloire de leurs généraux, quel que soit leur camp.

Le général Haig est resté célèbre dans l’histoire britannique comme le « boucher de la Somme », et l’image qui en a été faite le représentait buvant des grands crus dans un château loin à l’arrière du front, pendant que les soldats luttaient contre la faim, le froid, les rats et les obus.

C’est effectivement ce général qui a envoyé à la boucherie des recrues ayant reçu une instruction sommaire et commandées par des officiers tout aussi inexpérimentés. C’est aussi lui qui a insisté pour poursuivre l’offensive à tout prix, et plus tard pour que l’armée utilise des chars dont chacun connaissait les faiblesses techniques.

Mais il ne fut pas le seul âne à commander des lions, comme le dit une expression anglaise. Son homologue français Joffre pouvait lui rendre la pareille en matière d’arrogance couplée à l’incompétence militaire. Tout comme lui, il était partisan de la tactique de l’offensive à outrance, qui consistait à envoyer les troupes à l’assaut sans tenir compte ni des circonstances locales ni du rapport des forces.

En tant que chef d’état-major, Joffre s’était déjà illustré en août 1914 en envoyant à la mort plus de 100 000 soldats français durant ce seul mois, le plus meurtrier de toute la Première Guerre mondiale. S’il avait réussi ensuite à se forger une légende lors de l’épisode des taxis de la Marne, qui avaient stoppé l’avance allemande aux portes de Paris début septembre 1914, celle-ci s’était estompée avec les échecs successifs subis sous sa direction par les armées françaises, qui eurent pour conséquence de faucher toute une génération.

Le gouvernement, qui le destitua en décembre 1916, avait su le juger à sa propre valeur… même si, en lot de consolation, il reçut une auréole de héros en étant nommé maréchal. Foch, le commandant du groupe d’armées du Nord, fut lui aussi limogé de son poste en décembre 1916, pour être réhabilité quelques mois plus tard.

Les généraux Haig, Foch et Joffre ont tous trois été élevés au rang de héros, ils ont eu droit à des obsèques nationales, des rues portent leur nom, on apprend leurs faits d’armes aux enfants des écoles. Mais ils ont sur leurs mains le sang de 622 000 soldats, 420 000 britanniques et 202 000 français, auxquels il faut ajouter 437 000 allemands. Il est vrai qu’ils n’étaient encore que les exécutants de leur gouvernement et, au-delà, d’une bourgeoisie pas gênée d’envoyer les peuples s’entretuer pour la défense de ses profits.

Un ancien combattant de la bataille de la Somme dira, soixante ans plus tard : « Nous avons perdu 600 000 hommes pour gagner 45 villages, 8 bois, 12 kilomètres. Pour l’arithmétique militaire, ce fut une grande victoire. »

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