Juin 1976, en Afrique du Sud : de la révolte de Soweto à la fin de l’apartheid15/06/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/06/2498.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

Juin 1976, en Afrique du Sud : de la révolte de Soweto à la fin de l’apartheid

Le 16 juin 1976 des milliers de jeunes Noirs de Soweto manifestaient contre une réforme de leur système d’éducation. Le gouvernement blanc d’Afrique du Sud, à la tête du régime raciste d’apartheid, faisait tirer sur ces élèves qui osaient défier sa politique.

Loin de faire taire la colère des Noirs, la répression de Soweto allait marquer le début de la fin pour ce régime d’apartheid qui les privait de tous droits, les parquait dans leur propre pays et les livrait à l’exploitation du patronat blanc.

Le racisme institutionnalisé

L’apartheid signifiait officiellement que les « races » suivaient un « développement séparé ». En réalité c’était la dictature de la minorité bourgeoise blanche sur la majorité des Noirs pauvres.

Soweto était un township, c’est-à-dire une ville satellite, n’apparaissant sur aucune carte, mais concentrant des centaines de milliers de personnes. Cette ville noire était accolée à Johannesburg, la principale métropole économique d’Afrique du Sud où les Noirs n’avaient pas le droit de résider. Ils y travaillaient mais devaient la quitter en fin de journée.

Le gouvernement avait décidé que l’enseignement dans les townships se ferait désormais en grande partie en langue afrikaans, langue dérivée du néerlandais, qui était celle de la minorité blanche et qui donc symbolisait l’apartheid. En fait l’injustice du système éducatif reflétait l’injustice de toute la société : le gouvernement ne dépensait en moyenne pour chaque élève noir que 6 % de ce qui était alloué pour un élève blanc.

La révolte des jeunes

Les protestations se multiplièrent jusqu’à ce que, le 30 avril 1976, les élèves de l’école d’Orlando West, à Soweto, se mettent en grève pour revendiquer une éducation de qualité égale à celle des jeunes Blancs.

La grève s’étendit dans les jours suivants à bien d’autres établissements scolaires de Soweto. Des élèves formèrent un Comité d’action et organisèrent une manifestation pour le 16 juin 1976. Ce jour-là, des milliers de jeunes se rassemblèrent, surprenant le gouvernement par leur nombre et leur énergie. En plus des slogans sur l’éducation, des jeunes criaient : « Le pouvoir », et la foule répondait : « Nous appartient ! », montrant une conscience politique qui grandissait contre le régime.

Habitués à affronter les gaz lacrymogènes et les chiens policiers, réponse systématique des autorités à la moindre protestation, les jeunes firent face ce jour-là aux fusils de la police et de l’armée que le gouvernement dépêcha en catastrophe. Une des premières victimes fut un manifestant de 13 ans.

Soweto se souleva alors. Quand les ouvriers revinrent après le travail de Johannesburg, sans savoir ce qui s’était passé dans la journée, ils essuyèrent des coups de feu de la police dans les rues de Soweto et se trouvèrent ainsi mêlés d’emblée au soulèvement. Vingt-trois personnes perdirent la vie ce jour-là, dont deux Blancs sur lesquels la foule s’était vengée des balles de la police. Le lendemain, la police ratissa Soweto avec des blindés en tirant à tout va et l’armée se tint prête aux portes du township.

Les dispensaires de Soweto virent affluer un millier de blessés. La police exigea qu’on lui en livre la liste, mais les médecins déclarèrent les blessures par balles comme des abcès pour éviter à leurs patients d’être emprisonnés. Plusieurs centaines d’étudiants blancs, révoltés par cette répression, manifestèrent aussi à Johannesburg.

Le nom de Soweto fut rapidement connu dans le monde entier comme synonyme de révolte contre l’injustice. Celle-ci fit tache d’huile. Dans les mois qui suivirent, 160 townships se soulevèrent, jusque dans la Namibie voisine, qui était alors administrée par l’Afrique du Sud.

Les emprisonnements administratifs sans limite de temps se multiplièrent, tandis que la répression continuait, tuant au total des centaines de personnes en 1976, dont de nombreux enfants.

Les autorités françaises, qui ne manquent jamais une occasion de donner des leçons de morale sur la question des droits de l’homme, vendirent une centrale nucléaire au gouvernement raciste d’Afrique du Sud, cette même année 1976…

La classe ouvrière en lutte fait plier le régime

L’agitation à Soweto dura deux ans. Pour la première fois l’État sud-africain, qui n’avait cessé depuis l’instauration de l’apartheid en 1948 de renforcer les interdictions de toutes sortes rendant la vie de la population noire impossible, fut contraint de reculer. Il dut retirer sa loi sur l’enseignement en afrikaans. De plus, tous les habitants des townships obtinrent le droit d’y résider officiellement et d’acquérir leur propre logement en propriété, ce qui leur était interdit auparavant.

Les luttes de cette période portaient sur l’éducation, les loyers, le prix des transports, bien entendu en relation avec l’oppression raciale. L’ANC, le Congrès national africain, parti nationaliste dont le dirigeant Nelson Mandela était emprisonné, n’y joua pas de rôle au départ car il engageait plutôt ses militants dans des actions de guérilla.

Dans les townships, des comités de quartier surgissaient. Des militants, jeunes pour la plupart, venaient à l’activité et se politisaient. Ils étaient influencés par la lutte des Noirs américains qui en étaient venus à se battre pour le pouvoir noir, le Black Power. Beaucoup se retrouvaient dans des idées mêlant le nationalisme, le tiers-mondisme et la non-violence, incarnée par la Conscience noire, dont le dirigeant Steven Biko allait être torturé à mort par la police en 1977.

Au cours de ces années 1970, la classe ouvrière était aussi entraînée dans l’action. Les syndicats non blancs se constituaient ouvertement, réussissant en 1983 à regrouper six fois plus d’adhérents que quatre ans plus tôt. Cette montée ouvrière força le gouvernement à assouplir la répression, et le patronat fut contraint de reconnaître ces syndicats qui ne pouvaient plus être simplement ignorés et écrasés. Seules cinq entreprises reconnaissaient officiellement un syndicat noir en 1979, quatre ans plus tard elles étaient plus de 400. Même le puissant patronat des mines se voyait forcé de négocier avec le syndicat national des mineurs africains.

Le racisme officiel est mort, pas l’oppression de classe

Bien qu’en grande partie absent des townships, des mines et des usines où la lutte contre l’apartheid se développait, l’ANC lutta pendant des années pour en prendre le contrôle, aidé en cela par le Parti communiste sud-africain qui lui apporta un soutien total.

Quand il fut clair que le gouvernement ne pourrait pas mettre au pas les Noirs révoltés et mettre fin à une lutte qui durait depuis plus d’une décennie, il se tourna vers l’ANC pour négocier une transition politique et sortir du régime d’apartheid sans mettre en cause le pouvoir de la bourgeoisie. Mandela, sorti de prison, fut propulsé en 1994 à la présidence de l’Afrique du Sud.

L’ANC au pouvoir mit fin aux lois racistes. Mais pour la majorité des Noirs, c’est-à-dire des classes populaires, ce ne fut pas la fin de l’oppression sociale. L’ANC de Mandela permit seulement à une couche de nouveaux bourgeois noirs de se joindre à la bourgeoisie blanche plus ancienne. L’odieux régime d’apartheid a pris fin, mais seule une mince couche de privilégiés noirs a réellement accédé au pouvoir aux côtés de la bourgeoisie blanche.

C’est pourtant le soulèvement commencé à Soweto, puis la lutte croissante de la classe ouvrière qui ont eu la puissance nécessaire pour en finir avec le racisme officiel en Afrique du Sud.

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