Pologne : entre nationalistes et pro-européens25/05/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/05/2495.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pologne : entre nationalistes et pro-européens

240 000 personnes selon les organisateurs, 30 000 selon la police, ont défilé à Varsovie le 7 mai. Venus par cars de toute la Pologne, les manifestants ont répondu à l’appel de plusieurs partis. Au côté de l’ex-parti au pouvoir, PO, de la droite libérale pro-Union européenne, on trouvait un nouveau parti, Nowoczesna, qui se place sur le même terrain que PO mais ne s’est pas usé au pouvoir.

On trouvait aussi dans cette manifestation des associations, dont principalement le KOD, Comité de défense de la démocratie, créé depuis l’automne 2015, depuis la victoire du PiS, le parti de la droite cléricale et nationaliste, aux élections parlementaires d’octobre 2015, quelques mois après qu’il avait également remporté la présidentielle. On y trouvait aussi la SLD, une alliance située à gauche dont fait partie l’ex-PC (qui était au pouvoir jusqu’en 1989) et le PSC, un parti paysan.

Cette manifestation s’inscrit dans le cadre d’une série d’autres manifestations, appelées par les mêmes organisations depuis l’automne, contre les mesures prises par le PiS depuis son arrivée au pouvoir. Leurs organisateurs, tout comme les médias qui en Europe occidentale les soutiennent, ne cachent pas leur espoir de voir se développer un Maïdan à la polonaise, dans lequel la droite pro-UE réussirait à déstabiliser le gouvernement. Mais, pour l’instant, les événements ne le laissent pas présager.

Le gouvernement du PiS à l’offensive

Le PiS, soutenu par le clergé, admirateur du chef de gouvernement ultra-nationaliste hongrois Viktor Orban, avait annoncé son intention de « repoloniser » l’économie, de favoriser la « préférence nationale », et de mettre en place des réformes sociales. Il a depuis pris un certain nombre de mesures, sur plusieurs terrains.

Sur le plan politique, il mène la guerre aux intellectuels progressistes et libéraux : il s’en est pris aux médias qu’il juge trop peu favorables envers lui. Il a licencié puis réembauché les journalistes en les triant, et il veut retirer la décoration de l’ordre du Mérite à un historien polonais, Jan Gross, actuellement professeur à Princeton aux USA, qui avait rédigé un ouvrage, Les voisins, sur un pogrome antisémite mené par les habitants polonais du village de Jedwabne en 1941.

Sur le plan économique, afin dit-il de financer les réformes sociales prévues qui coûteraient entre 40 et 60 milliards de zlotys, le gouvernement a décidé des taxes et impôts supplémentaires ciblés : un nouvel impôt de 0,44 % de leurs actifs a été mis sur toutes les banques, ce qui a immédiatement amené une hausse générale des tarifs bancaires. General Electric et le groupe autrichien Raiffeissen ont alors annoncé qu’ils cherchaient à vendre leurs filiales bancaires en Pologne.

Le gouvernement du PiS a également décidé, en invoquant les mêmes raisons, de taxer jusqu’à 2 % de leurs recettes les surfaces commerciales de plus de 250 mètres carrés, ce qui vise explicitement les grands supermarchés, principalement détenus par Carrefour, Tesco, ou Kaufman et Metro. Une loi a aussi été votée pour geler pendant cinq ans les ventes de terres à des étrangers.

Quant au plan social, le gouvernement a annoncé la mise en place dès le mois de mai d’une allocation de 500 zlotys (112 euros) dès le second enfant, et éventuellement dès le premier pour les tout petits salaires. Il a aussi promis la création d’un salaire minimum à 12 zlotys (2,6 euros) de l’heure, sans que pour l’instant il y ait de mesure concrète, de même que pour la promesse de revenir sur le recul à 67 ans de l’âge de la retraite décidé par son prédécesseur.

Le PiS promet aussi de mettre en place un programme de logements à bon marché, en particulier pour les jeunes, alors que depuis les années 1990 (la fin du pouvoir dirigé par l’ex-PC, le PZPR) le logement social a été laissé à l’abandon et que les mises en vente d’immeubles se sont développées, en particulier dans les grandes villes, provoquant la hausse des loyers et le désarroi des habitants pauvres.

Vers l’interdiction totale de l’avortement

Enfin, un projet de loi a été déposé en avril, qui interdirait totalement l’avortement. Celui-ci était déjà interdit, mais il restait trois possibilités d’y recourir : en cas de viol de la mère ou d’inceste, de maladie grave de l’embryon ou de mise en danger de la vie de la mère ou de l’enfant.

Cette proposition de loi a suscité de l’émotion. Elle a été demandée par l’Église, qui a soutenu le PiS durant la campagne électorale et lui aurait demandé de payer sa dette. Elle a été accompagnée par la lecture le dimanche 3 avril, pendant toutes les messes, d’un communiqué de l’épiscopat polonais. Dans beaucoup d’églises, des femmes se sont levées et sont sorties. Et ce projet a suscité également des manifestations de protestation appelées par l’opposition libérale.

Les autres mesures sont vues plutôt avec indifférence par une grande partie de la population, qui voit en revanche avec intérêt l’arrivée des 500 zlotys par enfant, alors que jusqu’à présent les allocations familiales accordaient à peine 40 zlotys par enfant, soit moins de 10 euros.

La situation actuelle est le résultat du dégoût et du désarroi provoqués par des années de gouvernements de droite libérale, et aussi de gauche, qui ont abouti à des réformes sociales réduisant comme peau de chagrin le peu d’acquis que les travailleurs pouvaient avoir, organisant la flexibilité et la multiplication des contrats précaires, appelés contrats poubelle par la population. Tout cela a profité au récent développement capitaliste de la Pologne, fait essentiellement sous la houlette des grands groupes d’Europe occidentale, avant comme après l’entrée du pays dans l’UE en 2004.

Le gouvernement du PiS est décidé à imposer de nombreux reculs. Mais les travailleurs polonais n’ont pas grand-chose à attendre des dirigeants de l’opposition, peut-être moins réactionnaire mais tout aussi pro-capitaliste que le pouvoir actuel.

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