Nuit debout : l’ambiguïté d’un mouvement13/04/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/04/2489.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Nuit debout : l’ambiguïté d’un mouvement

Les initiatives Nuit debout ont commencé à Paris dans la foulée de la journée de mobilisation du 31 mars contre la loi travail, quand des manifestants ont décidé d’occuper la place de la République. Depuis, des centaines et parfois quelques milliers de personnes viennent débattre, tenir des assemblées générales, écouter des conférences, suivre des projections de films contestataires, discuter entre elles...

D’autres villes ont vu apparaître des initiatives du même genre. Et si la place de la République a été évacuée par la police à plusieurs reprises, cela n’a pas stoppé les rassemblements qui ont à chaque fois repris le soir même.

Ces occupations ont eu un succès médiatique, même s’il s’agit toujours de mobilisations au bout du compte modestes, ne serait-ce qu’au regard des autres mobilisations contre la loi travail qui ont, elles, entraîné des centaines de milliers de personnes, des manifestations de la jeunesse à celles organisées par les confédérations syndicales, en passant par tous les débrayages et manifestations qui ont eu lieu dans de nombreuses entreprises.

Nuit debout rassemble pour l’instant essentiellement des enseignants, des universitaires, des intermittents du spectacle, des jeunes étudiants et lycéens. Un de ses initiateurs, François Ruffin, réalisateur du film Merci patron, a lui-même décrit les participants en disant : « Les occupants de la place de la République appartiennent grosso modo à la même classe que moi, cela dit sans aucun mépris ni jugement : la petite bourgeoisie intellectuelle, à précarité variable. » Ce milieu, indigné par la politique du gouvernement sur la loi travail comme sur bien d’autres sujets, est venu se joindre au mouvement existant et, à sa manière, il contribue ainsi à alimenter le climat de contestation contre le projet gouvernemental, et c’est tant mieux.

Du rejet des partis traditionnels... à celui de toute politique ?

Mais ces rassemblements véhiculent aussi des idées qui, elles, ne vont pas dans le sens des intérêts des travailleurs. Au-delà de la diversité des sujets de débats, qui vont de la loi travail à l’état d’urgence, en passant par l’écologie ou encore la réécriture de la Constitution, les principes revendiqués par les participants de Nuit debout sont le rejet des partis, des organisations et, sous prétexte de recherche de nouveauté, jusqu’au rejet de toute référence politique. Dans les débats de Nuit debout, il est de règle de taire toute appartenance à un parti et mal vu d’afficher des idées politiques précises. Si l’on y parle de changer la société, c’est en disant que, sur ce plan, ce serait à chacun de tout réinventer.

Or, si on comprend l’écœurement suscité par les partis qui se sont succédé au pouvoir ou ceux qui rêvent d’y accéder pour gouverner dans le sens des intérêts capitalistes, l’idée d’organisation et de parti est au contraire fondamentale pour les exploités. La bourgeoisie a tous les partis à son service, les travailleurs aucun. Rejeter l’idée de parti en elle-même revient à s’opposer à ce que les exploités se donnent leur propre parti pour défendre leurs intérêts politiques.

Ces principes antiorganisations et antipolitiques ne menacent en rien la domination de la bourgeoisie qui, elle, domine la société à travers ses réseaux, ses organisations patronales, son État et même son économie. Mais, de plus, ils ne menacent même pas la caste politique actuelle. Les politiciens les plus usés savent s’adapter aux formulations dénonçant le « système » et les partis. Des dirigeants écologistes aux dirigeants socialistes plus ou moins frondeurs, en passant par Jean-Luc Mélenchon ou Pierre Laurent, tous sont venus faire un petit tour, voire plus, à Nuit debout, pour laisser entendre que ce mouvement rejoint leurs idées. Même Nathalie Kosciusko-Morizet du parti Les Républicains n’a pas été gênée de déclarer qu’ « il faut aller place de la République » pour y rencontrer « une génération qui se pose des questions » et qui manifeste « son insatisfaction vis-à-vis de la forme actuelle de la politique »… toute prête à dire que tout cela fait partie de ses préoccupations.

Ne pas recycler le réformisme

Si un mouvement comme Nuit debout devenait massif, en restant sur la base de cet apolitisme, il ne pourrait engendrer que des courants réformistes qui apparaîtraient ou seraient présentés comme nouveaux, mais qui ne feraient que recycler le vieux jeu des partis politiques bourgeois. L’histoire du mouvement des Indignés en Espagne en 2011, qui a mobilisé des masses importantes et a débouché sur la création du nouveau parti réformiste Podemos actuellement en train de négocier sa participation au gouvernement espagnol, est une leçon à retenir.

En fait, le mouvement Nuit debout ne s’adresse pas essentiellement aux travailleurs, qui ne peuvent pas y participer en restant le jour sur leur lieu de travail et en passant la nuit sur quelque place pour débattre de sujets les plus divers. C’est à partir de leur entreprise, de leur quartier, que les travailleurs peuvent se mobiliser, s’organiser, faire grève et commencer à modifier le rapport de force en leur faveur, contre le patronat et le gouvernement.

En même temps, il faudra faire émerger le parti qui manque aux exploités ; un parti capable de représenter leurs intérêts communs, c’est à dire justement leurs interêts politiques. Il faudra que ce soit un parti qui ne se compromette pas dans le ronron politicien et ses manœuvres, qui soit capable de fixer des objectifs de lutte et de contribuer à mener les luttes ouvrières au maximum de leurs possibilités. Un parti ouvrier digne de ce nom, qui prépare un véritable changement de société, une révolution sociale, ne pourra être qu’un parti communiste révolutionnaire.

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