Mars 1906 : catastrophe de Courrières et colère ouvrière16/03/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/03/2485.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 110 ans

Mars 1906 : catastrophe de Courrières et colère ouvrière

Le 10 mars 1906, une explosion secouait les houillères de Courrières, près de Lens. 1 099 mineurs trouvèrent la mort. La colère de la classe ouvrière contre la rapacité des patrons des compagnies minières, responsables des conditions d’insécurité dans lesquelles travaillaient les mineurs, déclencha alors une puissante vague de grèves. L’année 1906 allait voir une démonstration de force de la classe ouvrière.

C’est vers 6 h 30 du matin, juste après la relève des équipes de nuit aux fosses 2 Billy-Montigny, 3 Méricourt et 4 Sallaumines des mines de Courrières, situées dans l’arrondissement de Lens, qu’une explosion terrible retentit. La déflagration projeta la cage d’entretien à l’extérieur du puits de la fosse 3. Le chevalement fut détruit, l’entrée du puits bouchée.

Les galeries envahies par les gaz

Toutes les fosses communiquant entre elles, le nuage de gaz se répandit sur 110 km de galeries minières et l’incendie fit rage. Avec les effondrements, les pièces métalliques tordues, les opérations de sauvetage furent extrêmement difficiles.

En fin de journée, à peine plus de 550 mineurs sur 1 664 remontèrent, certains grièvement blessés. Le bilan fut finalement de 1 099 morts, avec des mineurs déchiquetés par l’explosion et son souffle, brûlés vifs, écrasés par les effondrements, asphyxiés par les gaz.

Rien n’avait été prévu par les patrons des mines pour éviter une telle catastrophe, alors que les dangers étaient connus. Un délégué mineur, Ricq, avait signalé trois semaines auparavant la forte présence de grisou au fond. La veille, il y avait même eu un départ d’incendie dans une veine que des ingénieurs avaient décidé de murer. Le matin même, ce délégué avait demandé que la descente n’ait pas lieu, en invoquant le danger et en signalant que depuis plusieurs jours les chevaux au fond de la mine étaient très agités, signe connu de la présence de gaz. Mais la direction avait refusé et exigé la descente, avec une heure de retard, de l’équipe du matin.

La grève commence

La colère monta rapidement parmi les familles de mineurs et les mineurs des alentours. Le 13 mars, lors des obsèques des premières victimes à la fosse commune de Billy-Montigny, en présence de 15 000 personnes, le directeur de la compagnie fut accueilli aux cris de « Patrons, assassins » et aussi de « Vive la révolution ! Vive la grève ! » Dans toutes les communes qui comptaient des victimes, les funérailles se transformèrent en impressionnantes manifestations.

Le 14 mars, les mineurs refusèrent de redescendre au fond. La grève éclata, gagnant les puits situés aux alentours. Puis elle s’étendit à tous les bassins miniers français, jusque dans le Borinage en Belgique. Le 16 mars, le nombre d’ouvriers grévistes était de 25 000. Il y en eut jusqu’à 60 000.

Le vieux syndicat de mineurs dirigé par Émile Basly, partisan de la participation des socialistes aux gouvernements et député-maire de Lens, fit de beaux discours, mais chercha surtout à limiter la grève. Ce fut le tout nouveau syndicat de mineurs créé depuis 1902 et adhérent à la CGT, dont le principal dirigeant était Benoît Broutchoux, qui poussa au contraire à son extension. La revendication reprise par tous les grévistes devint celle des « huit francs-huit heures », huit heures de travail par jour et huit francs de salaire par jour.

La peur de la bourgeoisie face à la poussée ouvrière

La presse conservatrice se montra enragée dès le début de la grève, dénonçant « la révolution en marche » comme le fit le journal La Croix d’Arras. L’Écho de Paris publia une série d’articles sous le titre : « Vers la révolution », dans laquelle le journal conservateur s’alarmait des progrès de la CGT, des actions antimilitaristes, tandis que Le Temps fustigeait « la dictature cachée de la CGT sur la masse des travailleurs ».

Pour le ministre de l’Intérieur d’alors, Clemenceau, il fallait rétablir l’ordre au plus vite. Il envoya 20 000 soldats mater la grève, soit un soldat pour deux à trois grévistes, et s’attaqua aux dirigeants CGT des mineurs, qui furent arrêtés et envoyés en prison. Broutchoux fut arrêté dès le 20 mars. Pour organiser la grève, il fut remplacé par Pierre Monatte, un des dirigeants syndicalistes révolutionnaires de la CGT, qui allait rester en 1914 opposé à l’union sacrée avec la bourgeoisie. Monatte fut arrêté à son tour le 23 avril avec 39 autres délégués de la grève. Tous furent accusés de complot contre la sûreté de l’État.

La grève s’arrêta au bout de six semaines. Quelques concessions furent faites par le patronat sur les salaires et les conditions de sécurité. Les patrons licencièrent les mineurs qui avaient été les meneurs de la grève. Mais la démonstration de force de la classe ouvrière restait. À la veille du 1er Mai 1906, pour lequel la CGT avait lancé un appel à la grève générale pour la journée de huit heures, la bourgeoisie eut bien des raisons d’avoir peur. Clemenceau fit arrêter les dirigeants de la CGT, dont Griffuelhes, Pouget et Yvetot. Il envoya 50 000 soldats quadriller Paris et procéder à des centaines d’arrestations.

Le 1er mai 1906, la grève ne fut finalement pas générale, mais elle se poursuivit pendant plusieurs jours dans différents secteurs, et elle montra la capacité de la CGT, alors dirigée par des militants qui se considéraient comme l’aile révolutionnaire de la classe ouvrière, à entraîner des centaines de milliers de travailleurs. Et, bien que la journée de huit heures ne fût pas acquise, le gouvernement concéda quelques semaines plus tard une loi sur le repos hebdomadaire obligatoire.

Devenu chef du gouvernement en octobre 1906, Clemenceau, représentant de la gauche bourgeoise, mania aussi bien le bâton que la carotte. Le but était le même dans les deux cas, et répondait à la préoccupation de la classe bourgeoise de contenir la poussée du mouvement ouvrier révolutionnaire. Il continua à réprimer d’un côté mais, de l’autre, il créa un ministère du Travail qu’il confia au socialiste Viviani.

Suivant la décision de 1904 de l’Internationale socialiste, le Parti socialiste réunifié avait pris position contre la participation des socialistes à des gouvernements bourgeois. Jaurès, devenu le dirigeant de ce nouveau Parti socialiste avait cependant pour le moins une attitude ambiguë vis-à-vis de Clemenceau et de son gouvernement. S’il leur reprochait d’avoir « pesé sur toute la région d’une telle masse militaire que le fonctionnement même du syndicat légal s’en est trouvé paralysé », il critiquait « l’action de désordre » des mineurs grévistes, déclarant qu’il était « du devoir comme de l’intérêt des ouvriers eux-mêmes de seconder par la puissance calme de leur action l’effort du ministre vers une pratique nouvelle ». C’était une façon de désavouer l’action du jeune syndicat CGT des mineurs, dans lequel se retrouvaient les militants anarcho-syndicalistes mais aussi nombre de militants ouvriers socialistes, partisans de Jules Guesde.

Voici quelles leçons Pierre Monatte tirait, en juin 1906, un mois et demi après la fin de la grève des mineurs :

« On a vu les journaux dreyfusards d’autrefois (...) les plus acharnés à jeter, sans l’ombre d’une preuve, les pires calomnies sur des militants révolutionnaires. (...) Ils savaient à peu près aussi bien que leur ministre que les hommes qu’ils insultaient étaient innocents des accusations portées contre eux. Mais ne fallait-il pas donner une fin à la grève des mineurs ; ne fallait-il pas gêner le mouvement des huit heures en arrêtant Griffuelhes et Lévy [dirigeants de la CGT] et en jetant la suspicion sur cet admirable essai de la généralisation de la lutte ouvrière ; ne fallait-il pas enfin préparer de belles élections ? M. Clemenceau, par le moyen de son complot, aura montré à la classe ouvrière que la classe capitaliste, quel que soit son gouvernement, n’hésitera devant aucune saleté ni aucun crime pour entraver ses mouvements d’émancipation. (...)

Je suis guéri de toute illusion sur les « exceptions » du monde politique. M. Clemenceau n’était-il pas, aux yeux de bien des camarades, une de ces « exceptions » ? (...). La classe ouvrière sait qu’elle n’a à compter que sur elle-même et que, parmi ses ennemis, il n’en est peut-être pas de pires que des bons ministres radicaux et socialistes” et les journalistes de mêmes couleurs. »

De la grève des mineurs de Courrières de 1906 à aujourd’hui, bien des luttes de la classe ouvrière ont confirmé les conclusions tirées par Monatte.

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