Russie : mines meurtrières02/03/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/03/2483.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : mines meurtrières

Jeudi 25 et dimanche 28 février, trois explosions de méthane dans une exploitation de charbon du Grand Nord russe, proche de la ville de Vorkouta, ont fait 36 morts et 11 blessés parmi les mineurs et les secouristes. Aussitôt, les responsables régionaux ont décrété trois jours de deuil et annoncé que les familles endeuillées recevraient un million de roubles chacune (11 000 euros). Quant au président Poutine, il a nommé une commission chargée d’enquêter sur d’éventuelles violations des règles de sécurité.

Il s’agit d’un scénario bien réglé, alors que les catastrophes minières se succèdent : les autorités s’inclinent devant les victimes, font savoir qu’on indemnisera leurs proches et suggèrent que des salariés ou cadres subalternes des mines auraient une responsabilité dans ce drame en ayant négligé la sécurité. Cette façon de présenter les choses a un énorme avantage : elle laisse dans l’ombre les propriétaires des mines, leur logique du profit à tout prix et leurs protecteurs au sommet de l’État.

Dans ce cas, la mine Severnaïa, fleuron du groupe charbonnier Vorkoutaougol, une filiale du géant russe de l’acier Severstal, appartient au magnat des affaires Mordachov. Ce proche du Kremlin a déclaré à une agence financière américaine, juste avant le drame meurtrier de Severnaïa, qu’il pouvait réduire encore plus les coûts de ses entreprises. On imagine sans peine que les coûts humains sont pour lui et ses pareils une variable d’ajustement des profits.

Confirmation de la chose, les reportages télévisés ont montré des mineurs et des membres de leurs familles qui racontaient combien, dans les puits du bassin de Vorkouta, les équipements de sécurité étaient insuffisants, mal entretenus, voire inexistants.

Et le résultat, terrible, est là. Même selon les statistiques russes officielles, le nombre des victimes de catastrophes minières et la fréquence de ces dernières se sont envolés. Sur la période 1980-1990, du temps de l’Union soviétique, les cas impliquant plus de 50 victimes représentaient une catastrophe minière sur 313 ; de 1991 à 2000, donc après la fin de l’URSS, ils représentaient une catastrophe sur 86 ; et une sur 33 pour la période 2001-2010. Autrement dit, la fréquence des catastrophes les plus meurtrières a presque été multipliée par dix en trente ans !

Ce n’est pas étonnant. À l’époque soviétique, pour les bureaucrates des mines et de leurs régions, si la vie des mineurs comme celle des travailleurs en général importait peu, ils avaient quand même quelques comptes à rendre, au moins pour tout ce qui perturbait la fourniture de charbon et d’acier au pays, selon un slogan d’alors. Ils savaient que, leur carrière donc leurs privilèges pouvant pâtir de telles perturbations, mieux valait assurer une certaine sécurité dans les puits.

Mais depuis que les mines de l’ex-URSS ont été privatisées, et que des proches du pouvoir ont pu les acquérir à prix d’ami, les investissements dans les équipements censés assurer la sécurité sont au plus bas, et même nuls, quand les statistiques officielles font apparaître qu’en trente ans le coefficient de dangerosité mortelle du métier de mineur a augmenté de presque deux fois et demie.

Dans le même temps où la production minière s’est effondrée, le nombre de ses victimes n’a cessé de croître, au fil de catastrophes comme celle de Severnaïa. Ainsi, dans une autre mine de Vorkouta, on a compté 18 morts, il y a juste trois ans. Le mois précédent, il y avait eu huit morts dans une mine de la région sibérienne de Kemerovo. Et l’accident le plus meurtrier de ces dernières années a tué au moins 73 mineurs dans un autre puits du bassin de Kemerovo.

Face à cette hécatombe, aucun propriétaire de mine n’a jamais été inquiété et encore moins condamné. Dans le système russe actuel, les nantis font de l’argent par tous les moyens, y compris avec la peau des travailleurs. Quant à leur mort, elle fait partie des aléas de la production.

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