9 décembre 1905 : loi de séparation de l’Église et de l’État, un compromis toujours remis en cause09/12/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/12/2471.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 110 ans

9 décembre 1905 : loi de séparation de l’Église et de l’État, un compromis toujours remis en cause

Le 9 décembre 1905, il y a 110 ans, était adoptée la loi dite de séparation de l’Église et de l’État. « L’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », et la religion est une affaire privée, affirmait-elle. La France était le premier pays européen – et reste encore un des rares pays dans le monde – à inscrire dans la loi le principe de laïcité. Pourtant, malgré la loi de 1905, la complaisance des gouvernements envers les institutions religieuses, en premier lieu catholiques, ne s’est jamais démentie, tandis que la notion de laïcité est contestée par des partis ou groupes réactionnaires. Mais surtout, laïque ne veut pas dire athée. Le républicain Xavier Bertrand, voulant ménager la chèvre et le chou (ou plutôt le bœuf et l’âne puisque le débat portait sur l’installation de crèches dans les mairies !) ne s’est pas gêné par exemple pour déclarer que « la France est un pays laïque de tradition chrétienne » !

Sous l’Ancien Régime, la France était effectivement de tradition non pas chrétienne, puisque les protestants furent à plusieurs reprises persécutés, mais catholique. Elle était même désignée comme la « fille aînée de l’Église » et le catholicisme y était religion d’État.

Avec la Révolution française, l’alliance entre royauté et Église vola en éclats. Les philosophes des Lumières avaient ouvert la voie, et le principe de séparation entre l’Église et l’État apparaît dès 1789, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Certes, la bourgeoisie révolutionnaire contestait aussi le pouvoir temporel de l’Église, mais en s’en prenant à son pouvoir spirituel, donc en battant en brèche l’obscurantisme religieux, elle faisait faire un formidable pas en avant à l’ensemble de la société.

Arrivé au pouvoir avec le reflux de la révolution, Napoléon 1er renoua avec l’Église romaine. Le Concordat signé en 1801 avec le pape la confortait dans la plupart de ses prérogatives, notamment en matière d’éducation. Durant tout le 19e siècle, l’Église allait se poser en soutien des régimes monarchistes réactionnaires.

Vers la loi de 1905

Après la chute du Second Empire, en 1870, la domination de la bourgeoisie sur la société prit la forme de la IIIe République. Cependant, les partis monarchistes n’avaient pas rendu les armes. Par ailleurs, après l’écrasement de la Commune de Paris, le mouvement ouvrier allait lentement se relever, donnant naissance à des partis socialistes qui pouvaient devenir une menace pour le pouvoir.

En s’attaquant à la religion et à son emprise, nombre d’hommes politiques de la bourgeoisie cherchèrent à saper la puissance de l’Église catholique qui soutenait les monarchistes et influençait une large partie de la population. Et face à la propagande socialiste, leur anticléricalisme parfois virulent – « Le curé, voilà l’ennemi » déclarait Gambetta – leur permettait d’apparaître radicaux à bon compte et de dévier la colère des exploités sur la voie de l’anticléricalisme.

Des pas vers la laïcisation de la société furent franchis dans les années 1880, notamment avec l’autorisation de divorcer, la création de funérailles civiles... ou l’autorisation du travail du dimanche ! Mais c’est surtout dans le domaine de l’enseignement que l’Église catholique reçut les plus grands coups avec les lois Jules Ferry sur l’éducation, dont la loi de 1881 qui instaurait l’école publique gratuite et obligatoire, retirant ainsi la majorité de l’enseignement des mains du clergé. En faisant de l’éducation des enfants une prérogative d’État, la bourgeoisie pouvait à la fois inculquer sa morale et donner aux futurs ouvriers le minimum de qualifications dont son industrie avait besoin.

Les reculs

Il ne fallut pas attendre longtemps pour que les gouvernements reculent devant le pouvoir de l’Église. La loi de 1905 prévoyait d’inventorier tous ses biens, mais cette mesure fut abandonnée dès l’année suivante sous la pression parfois musclée de groupes catholiques. Une loi, votée en 1908, obligea les communes à réparer et entretenir les églises construites avant 1905. Même si l’intérêt architectural mérite que l’on conserve nombre d’entre elles, pourquoi cela devrait-il être financé par l’argent public ? Ce cadeau fait à l’Église est un véritable fardeau pour les petites communes. L’État prend bien une part des travaux à sa charge, mais elles peuvent avoir à débourser de lourdes sommes pour l’entretien de locaux dont elles n’ont pas la jouissance.

Les principaux reculs du pouvoir eurent lieu dans le domaine de l’enseignement privé, à 80 % catholique. La loi Barangé de 1951 lui accorda des subventions pour chaque élève scolarisé. En 1959, avec la loi Debré, l’État prenait aussi en charge les salaires des enseignants dans les établissements scolaires sous contrat. Locaux entretenus par les collectivités locales, communes devant payer pour leurs enfants scolarisés dans un établissement privé d’une autre commune, etc., les reculs furent progressifs mais incessants.

Et peut-on vraiment dire que l’État français est laïque quand une partie du territoire échappe à la loi de 1905 ? Après la Première Guerre mondiale, lorsque l’Alsace-Moselle revint dans le giron de la France, elle conserva le statut qui était le sien sous l’empire allemand : les ministres des cultes reconnus sont payés par l’État et, sauf dispense, les cours d’instruction religieuse sont obligatoires dans les écoles. En Guyane, une ordonnance de 1827, reconnaissant et finançant la seule religion catholique, est toujours en vigueur. À Mayotte, département de tradition musulmane, la charia fait office de loi pour les affaires familiales. Et la liste des exceptions concerne aussi des territoires ou départements d’outre-mer.

Laïque ne veut pas dire athée

La loi de 1905 était déjà, à son époque, le résultat d’un compromis entre l’État et l’Église, qui ne mettait pas fin à la puissance sociale de celle-ci. Les termes mêmes de ce compromis n’ont jamais cessé d’évoluer, dans le sens d’une complaisance de plus en plus marquée des politiciens bourgeois vis-à-vis de la religion. Le principe de laïcité dont ils se vantent est contredit par le favoritisme envers l’Église catholique, dont l’influence est renforcée par des manifestations publiques : ainsi, il est de bon ton pour un président d’assister à des messes données en « hommage à... », même s’il s’affiche par ailleurs athée.

La laïcité et la neutralité de l’État ne sont pas non plus respectées dans le service public audiovisuel. La plus ancienne émission régulière de la télévision publique est Le jour du seigneur, qui date de 1954. Exclusivement consacrée au catholicisme à ses débuts, elle s’est élargie à d’autres cultes, mais les libres penseurs n’y ont pas leur place. Ainsi, ceux qui combattent la religion ne peuvent compter que sur le bon vouloir de réalisateurs d’autres émissions pour avoir droit à la parole.

La loi de 1905 marqua un réel progrès pour la société, en faisant de la religion une affaire privée. Mais elle est loin d’être suffisante pour contenir les superstitions véhiculées par la propagande religieuse, quelle que soit la boutique qui s’en réclame. Le recul que connaît actuellement la société se traduit aussi par la remontée d’un fatras de croyances d’un autre temps qui peuvent avoir des conséquences catastrophiques.

Parce que ce progrès peut être remis en cause, les communistes révolutionnaires doivent défendre la laïcité qui garantit à chacun, du moins dans la loi, la liberté de conscience. Ils doivent lutter pour faire reculer les idées religieuses et l’oppression qu’elles engendrent. Mais cela ne peut être qu’un aspect d’un combat bien plus vaste visant à renverser une bourgeoisie réactionnaire qui, au 21e siècle, ne dédaigne toujours pas de se servir de « l’alliance du sabre et du goupillon » pour affermir sa domination.

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