Grande-Bretagne : Jeremy Corbyn élu leader travailliste, un Tsipras à l’anglaise ?16/09/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/09/2459.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Jeremy Corbyn élu leader travailliste, un Tsipras à l’anglaise ?

Au grand dam de la classe politique britannique, c’est un membre de la gauche dite « dure » du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, qui a été élu leader de ce parti. Qui plus est, fait sans précédent depuis plus d’un demi-siècle, il l’a emporté dès le premier tour, avec trois fois plus de voix que son plus proche rival.

Jusqu’en juin dernier, nul n’envisageait cette victoire. Corbyn apparaissait comme l’outsider habituel, soutenu par une dizaine des 232 députés travaillistes. Rien dans le profil de Corbyn ne laissait non plus prévoir sa victoire. Ancien permanent recruté par l’appareil syndical au sortir de ses études, il est député d’une banlieue londonienne depuis 1983 et n’a jamais figuré parmi les personnalités en vue du parti. Tout au plus est-il connu des milieux politisés pour s’être opposé aux attaques visant les classes populaires, y compris celles mises en œuvre par son propre parti, pour ses positions pacifistes et pour ses sympathies envers les mouvements anti-impérialistes des pays pauvres.

Pour les ténors du parti, et en particulier ses trois adversaires formés par le blairisme, Corbyn n’était qu’un candidat farfelu. Et ils ne se privaient pas de tourner en dérision les mesures qu’il proposait : la fin de la politique d’austérité, la re-nationalisation des chemins de fer et de l’énergie, la nationalisation des banques, l’augmentation des impôts payés par les riches et un vaste programme d’investissements étatiques financé par le recours à la planche à billets, au profit de la population plutôt qu’à celui des spéculateurs.

Mais finalement, toute la dérision méprisante de ses adversaires n’a réussi qu’à attirer à Corbyn la sympathie d’un nombre croissant d’adhérents et de supporters travaillistes. Contre tous les politiciens du parti, champions d’une austérité « bénigne », qui n’avaient pas ménagé leur soutien aux aventures militaires de ces dernières années et ne s’étaient même pas opposés aux attaques de Cameron contre le système de protection sociale, ils ont voulu voir en Corbyn le représentant d’une autre politique, qui ne se ferait pas aux dépens de la population.

Vers la mi-juin, l’appareil du parti a commencé à s’alarmer. Tandis que les sondages d’opinion indiquaient une montée en flèche en faveur de Corbyn, des dizaines de milliers de sympathisants profitaient d’un système de primaire, introduit en 2014, qui permet à quiconque souhaite participer à cette élection d’adhérer temporairement pour une somme modique (un peu plus de 5 euros). Les ténors travaillistes appuyés par la plupart des médias eurent beau mener campagne contre la « corbynmania », rien n’y fit. Pas plus d’ailleurs que l’invalidation d’une partie des adhérents temporaires, sous des prétextes fantaisistes.

Au total donc, plus de 250 000 des suffrages exprimés se sont portés sur Corbyn : près de 50 % des adhérents de plein droit (121 751), 84 % des adhérents temporaires (88 449) et 57 % des adhérents affiliés (41 217 membres via leur appartenance à une organisation affiliée au parti telle qu’un syndicat).

Cela étant, même si elle est vue avec sympathie par bien des travailleurs, l’élection de Corbyn ne reflète pas un changement dans l’atmosphère de découragement qui prévaut depuis des années dans la classe ouvrière.

D’abord parce que ceux qui y ont participé appartiennent en majorité à la petite bourgeoisie et à la jeunesse étudiante et diplômée. Il est d’ailleurs significatif que la participation au scrutin n’ait été que de 45 % parmi les adhérents affiliés par leurs syndicats, contre 81 % parmi les adhérents de plein droit et 92 % parmi les adhérents temporaires.

Ensuite, parce que, si Corbyn se présente comme le champion d’une politique radicalement opposée à celle suivie jusqu’à présent par son parti, c’est quand même à ce même parti qu’il propose de s’en remettre pour en réaliser les objectifs. Comme si le Parti travailliste, qui depuis un siècle participe à la gestion des affaires de la bourgeoisie contre la population laborieuse, allait changer de nature par on ne sait quel miracle !

En fait, quelles que soient sa sincérité et sa position de leader, Corbyn n’a qu’une marge de manœuvre limitée tant qu’il reste dans le cadre de la « légalité » de son parti. S’il peut, dans une certaine mesure, décider de sa politique au Parlement, il n’a aucun contrôle sur son comité exécutif national, qui est élu par un congrès dont la composition est très contrôlée par l’appareil. Or c’est ce comité qui, en dernier ressort, décide de la politique du parti. Pas plus qu’il n’a de contrôle sur les puissants appareils syndicaux qui, aujourd’hui, le soutiennent mais qui, demain, ne se gêneront pas pour lui imposer leur politique. Or ce sont ces appareils qui, depuis des années, ont désarmé la classe ouvrière en s’abstenant de lui proposer la moindre riposte face aux attaques qu’elle subissait – afin de préserver leur partenariat avec le patronat.

Autant dire qu’au-delà de gestes symboliques sans grande conséquence, Corbyn sera l’otage d’un parti qui, demain comme hier, restera l’un des instruments dont dispose la bourgeoisie pour protéger ses intérêts face à ceux des classes laborieuses. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que Corbyn fasse résolument appel à la mobilisation des travailleurs, dans les usines et dans la rue. Mais pour radical qu’il puisse paraître, s’il y a une expression qui ne figure pas dans son vocabulaire, c’est bien celle de lutte des classes.

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