Août 1965 aux États-Unis : la révolte noire de Watts02/09/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/09/2457.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

Août 1965 aux États-Unis : la révolte noire de Watts

Il y a cinquante ans, le 11 août 1965, les arrestations brutales par des policiers blancs d’un automobiliste noir de 21 ans, puis de son frère et de sa mère qui s’y opposaient, bien qu’étant un incident malheureusement banal, allaient déclencher la rébellion du quartier noir de Los Angeles.

Fatiguée de vivre sous un régime de ségrégation raciale, lassée de n’occuper que des emplois mal payés, la population noire américaine se mobilisait depuis des années, en nombre toujours plus grand, contre les pouvoirs publics qui imposaient ces discriminations. Pour beaucoup cette lutte avait tout d’abord été pacifique, mais contre les manifestants la police employait les matraques et les chiens. Quand ils ne respectaient pas l’interdiction de manger dans un restaurant, d’aller dans une piscine ou de s’assoir à l’avant d’un bus avec les Blancs, les Noirs étaient arrêtés et traités en criminels.

Même le simple emménagement dans un quartier blanc pouvait valoir à une famille noire l’incendie de sa maison par des groupes racistes, comme le Ku Klux Klan. À Los Angeles, 90 % des 650 000 Noirs de la métropole californienne étaient concentrés dans le ghetto de South Central, dont Watts était un quartier.

Une mobilisation d’abord pacifique

Début 1965, avec à sa tête le pasteur Martin Luther King, la mobilisation pacifique de la population noire d’Alabama, un des États du Sud les plus violemment racistes, s’était heurtée de plein fouet à une brutale répression policière. Les caméras de télévision avaient montré à tout le pays ces femmes, ces enfants, ces hommes marchant sur Selma pour conquérir leurs droits, avant d’être attaqués et arrêtés par une police blanche déchaînée. Plusieurs y ont perdu la vie. Et rien ne semblait changer.

Toutefois le président Johnson, reflétant l’inquiétude de la bourgeoisie américaine face à une mobilisation qui s’élargissait année après année, avait essayé de mettre un terme à cette agitation en imposant une loi sur les droits civiques. Une loi réaffirmant le droit de vote sans discrimination – qui existait pourtant sur le papier depuis un siècle, mais n’était pas appliqué – avait donc été proposée, votée et promulguée à l’été 1965, avec une rapidité inhabituelle.

Ainsi il fallut des combats massifs des Noirs pour que l’État leur accorde le droit de vote. C’était une réponse à l’évolution politique du mouvement noir. Car après avoir payé un prix exorbitant en vies humaines, la population noire avait commencé à se défendre et à rendre les coups. Une première émeute d’une nuit avait eu lieu en 1963 à Birmingham en Alabama suite à un attentat à la bombe contre les locaux d’une organisation de défense des droits civiques. Durant l’été 1964, une intervention brutale de la police à Harlem, le ghetto noir de Manhattan à New York, avait déclenché une émeute qui s’était répandue dans un autre quartier noir de New York et dans quelques autres villes du New Jersey voisin.

Ces rébellions faisaient écho aux paroles du dirigeant noir Malcolm X, qui avait dit peu de temps avant d’être assassiné : « Vous ne devez être non-violents que si on s’oppose à vous de façon non-violente. Mais à chaque fois que vous réclamez l’application de la loi, le respect de vos droits légaux et de vos droits moraux, dans un esprit de justice, alors soyez prêts à mourir pour ce en quoi vous croyez. Mais ne mourez pas seuls. Faites en sorte que la mort frappe aussi votre ennemi. C’est cela que l’égalité veut dire. »

Une concession tardive

En 1965 le simple droit de vote réaffirmé par une loi à Washington, mais loin d’être appliqué partout, était cependant une concession trop partielle et trop tardive pour freiner le mouvement. Les masses noires, particulièrement celles des ghettos au sein des grandes concentrations urbaines, ne faisaient plus confiance à l’État américain. Toutes ses structures, depuis les autorités et polices municipales et les shérifs des comtés jusqu’aux gouverneurs d’États et aux dirigeants fédéraux à Washington, toute cette structure blanche du pouvoir était vomie et n’inspirait plus aucune confiance aux Noirs. Dans les consciences la nécessité d’un pouvoir noir se répandait.

À Watts, comme dans tous les quartiers pauvres dans le pays, les raisons du profond mécontentement des Noirs étaient nombreuses : chômage important, écoles laissées à l’abandon, et en plus de tout cela l’odieux racisme des autorités. Le chef de la police de Los Angeles préférait désigner les Noirs par le terme insultant « nègres » (niggers). En 1962, lors d’un raid contre le siège local des musulmans noirs, ses hommes avaient tué un militant et blessé sept autres, tous non-armés. Dans les deux ans ayant précédé la révolte de Watts, la police avait tué 60 Noirs à South Central, dont 27 abattus dans le dos.

Il n’est donc pas étonnant que les témoins de l’incident raciste de la soirée du 11 août 1965 aient commencé à s’en prendre à la police. Cette réaction spontanée déborda des autorités affolées, obligées de se retirer de la zone et devant la laisser sous contrôle de plusieurs milliers puis, les jours suivants, de dizaines de milliers de révoltés.

Contrairement à ce qu’ont prétendu les forces de répression, la révolte de Watts n’était pas le fait de gangs et de voyous qui auraient profité de l’absence de la police pour brûler et piller. La plupart des 3 500 personnes qui furent arrêtées par la police, quand la rébellion s’éteignit au bout de six jours, étaient des salariés. Et si des magasins furent pris pour cible et vidés de leurs marchandises par la population, c’était souvent parce que les commerçants exploitaient durement la misère d’une population noire confinée au ghetto, en pratiquant des prix élevés pour des produits de mauvaise qualité.

La police dut reculer face à la révolte et les autorités durent faire appel à la garde nationale. Pas moins de 16 000 gardes nationaux furent envoyés dans la zone en rébellion. Ces unités, entièrement composées de soldats blancs par crainte de la réaction des soldats noirs, reprirent le contrôle de la situation en tuant 34 personnes et en en blessant plus de mille.

La peur de la bourgeoisie américaine

Cette issue de la révolte de Watts ne fut cependant pas ressentie comme une défaite. Craignant les conséquences d’une situation sociale explosive, l’État fit en sorte que des emplois mieux payés deviennent accessibles aux Noirs, que des aides sociales soient dirigées vers les quartiers pauvres. Mais plus important encore fut le sentiment de pouvoir ressenti par la population en chassant la police du quartier.

Les années suivantes, d’autres rébellions éclatèrent. En 1966, il y eut 21 révoltes « majeures », en 1967 il y en eut 41. Les plus importantes s’étendirent, celle de Newark à treize villes du New Jersey, celle de Detroit à huit villes du Michigan et de l’Ohio. En 1968, suite à l’assassinat de Martin Luther King, plusieurs centaines de villes s’enflammèrent en même temps.

Cette véritable explosion sociale qui toucha les quartiers noirs fit suffisamment peur à la bourgeoisie américaine et à son État pour les contraindre à des changements rapides dans de nombreux domaines : emploi, salaires, ségrégation dans l’habitat, couverture sociale, de grandes améliorations qui changèrent aussi la situation de bien des travailleurs blancs. Cette situation intérieure difficile joua aussi son rôle pour forcer l’impérialisme américain à mettre un terme à la guerre du Vietnam qui devenait pour lui trop pesante.

La face des États-Unis en fut changée pour une période, mais une période seulement. Quand les luttes diminuèrent d’ampleur, la classe capitaliste ne vit plus aucune raison de faire des concessions aux Noirs et aux pauvres. Certaines avancées, pas toutes, furent perdues.

Le racisme des autorités perdura, comme le montra en 1992 l’acquittement de quatre policiers blancs qui avaient tabassé un automobiliste noir, provoquant à nouveau une très importante révolte à Los Angeles. Tout récemment les meurtres racistes commis par des policiers blancs ont provoqué des réactions de colère un peu partout dans le pays. Aux États-Unis, le combat contre le racisme d’État n’est pas terminé.

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