Il y a 70 ans, le procès de Pétain : la continuité de l’appareil d’État de Pétain à de Gaulle19/08/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/08/2455.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Il y a 70 ans, le procès de Pétain : la continuité de l’appareil d’État de Pétain à de Gaulle

Le 15 août 1945, la Haute Cour de justice condamnait le maréchal Pétain à mort pour intelligence avec l’ennemi et haute trahison. De Gaulle, alors chef du Gouvernement provisoire, commua la peine en emprisonnement à vie. L’histoire officielle oppose aujourd’hui les deux hommes : Pétain serait le collabo, au service du nazisme, alors que de Gaulle incarnerait le salut du pays et de la démocratie.

Avant d’arriver au pouvoir, en 1940, Pétain avait déjà derrière lui une longue carrière de militaire réactionnaire et s’était illustré en vainqueur de la bataille de Verdun, la plus sanglante de la guerre de 1914-1918, mais aussi en réprimant les mutineries des soldats en 1917. Pendant les émeutes de l’extrême droite française en février 1934, il fut appelé à siéger au gouvernement, ses convictions anticommunistes valant recommandation.

Après la débâcle de 1940, qui avait montré l’incurie du haut commandement face à l’armée allemande, la bourgeoisie se réfugia derrière un homme qui semblait pouvoir sauver la situation, en maintenant un appareil d’État capable de préserver ses intérêts dans les conditions de la défaite militaire face à l’Allemagne. C’est dans ces circonstances que Pétain fut appelé au pouvoir.

Après avoir signé l’armistice, Pétain instaura sa dictature. Une dictature qui était l’enfant légitime de la République, puisque ce furent les élus de la Chambre des députés du Front populaire – moins les 72 députés communistes qui avaient été déchus en 1939 – qui votèrent en majorité pour remettre les pleins pouvoirs à ce militaire réactionnaire.

Si la France fut occupée, l’appareil d’État, sa police, une partie de son armée, son personnel politique restèrent en place pour défendre les intérêts de la bourgeoisie nationale. Ce fut d’ailleurs la principale ligne de défense de Pétain après la Libération : il avait sauvé l’État français face à l’Allemagne.

Le régime de Pétain répondait également aux souhaits de la bourgeoisie, en lui permettant de prendre sa revanche après la peur suscitée par les grèves de juin 1936. Les précédents gouvernements étaient déjà revenus sur les acquis de la grève, celui de Pétain allait poursuivre leur œuvre, traquant les communistes, les socialistes et les syndicalistes, instituant des syndicats corporatistes pour faciliter l’exploitation des travailleurs dans les entreprises.

Le gouvernement collabora également avec les nazis pour traquer les résistants et surenchérit sur la politique antisémite en arrêtant les enfants juifs, lors de la rafle du Vel-d’Hiv, alors que les autorités allemandes ne le lui demandaient pas.

De Gaulle, que l’on présente comme l’antithèse de ce régime odieux, était entré dans le cabinet de Pétain en 1925, quand ce dernier était vice-président du Conseil supérieur de la guerre. Aussi anticommunistes l’un que l’autre, les deux hommes se respectaient. En 1920, le capitaine de Gaulle s’était d’ailleurs engagé aux côtés de l’armée polonaise, pour combattre la révolution russe. Du point de vue politique, rien ne les opposait. Seulement, en 1940, de Gaulle fut partisan de continuer la guerre aux côtés des Alliés, faisant le pari que ce serait ce camp-là, et non celui de l’Allemagne, qui sortirait vainqueur du conflit. Il pensait qu’il fallait que les intérêts de la bourgeoisie française soient également défendus dans le camp opposé à l’Allemagne.

Il fallait également maintenir l’appareil d’État, pour que la bourgeoisie puisse faire face aux troubles sociaux susceptibles de se propager et de se transformer, comme cela fut le cas à la fin de la Première Guerre mondiale, en une vague révolutionnaire, demandant des comptes à tous ces bourgeois qui avaient continué à faire des affaires et à s’enrichir pendant le conflit.

Si Pétain, Laval et quelques autres hommes politiques furent jugés, voire condamnés à mort, l’essentiel de l’appareil d’État demeura intact. De Gaulle attribua même la Légion d’honneur à la police parisienne, pourtant largement compromise dans la chasse aux Juifs et aux résistants. Sur 2 100 magistrats du régime de Vichy, 260 seulement furent suspendus, le plus souvent temporairement. À la fin de la guerre, avec l’appui des partis de la Résistance, et au premier chef du PCF, qui proclamait alors « un seul État, une seule police », de Gaulle conserva et blanchit l’appareil d’État que Pétain avait préservé durant la guerre, pour qu’il puisse continuer à jouer son rôle de rempart de la bourgeoisie.

Les deux hommes, issus d’un même milieu militaire, politique et social profondément réactionnaire, étaient au service d’une même classe, la bourgeoisie.

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