Turquie : Erdogan relance la guerre contre les Kurdes12/08/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/08/2454.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Erdogan relance la guerre contre les Kurdes

Après l’attentat commis le 21 juillet par l’organisation État islamique (EI) à Suruç, en Turquie, le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan s’était déclaré décidé à combattre par tous les moyens le terrorisme. Mais, si l’aviation turque a bien attaqué quelques positions de l’EI en Syrie, elle s’en prend d’abord et avant tout aux combattants du PKK, l’organisation autonomiste des Kurdes de Turquie, et à leurs alliés de l’YPG, l’organisation des Kurdes de Syrie.

Ainsi, en quelques jours, les raids aériens contre les camps du PKK installés à la frontière turco-irakienne auraient fait plus de 260 morts et des centaines de blessés, tant parmi les combattants que dans la population des villages. Erdogan déclare maintenant qu’il n’est plus question de négocier avec le PKK et que le processus de paix qu’il a lui-même initié avec cette organisation il y a trois ans n’a plus lieu d’être. Et alors que, depuis les succès de l’EI de l’été 2014, les États-Unis cherchaient le moyen de s’appuyer sur les combattants kurdes pour contrer cette organisation, Erdogan mène maintenant sa guerre contre les Kurdes avec l’aval ou en tout cas la non-opposition de Washington. Il a aussi d’ailleurs le soutien des dirigeants du Kurdistan d’Irak, rivaux du PKK.

Depuis la constitution de la coalition militaire contre l’organisation État islamique sous l’égide des États-Unis, la Turquie mène double jeu. C’est en effet le régime turc qui, depuis 2011, a accueilli et entraîné une grande partie des combattants de l’EI et permis leur entrée en Syrie pour combattre le régime rival de Bachar al-Assad. Les dirigeants américains et ceux des autres puissances impérialistes ont eux aussi contribué à cette politique, jusqu’au jour où l’EI s’est senti assez fort pour jouer son propre jeu et conquérir de larges territoires en Irak et en Syrie. Le gouvernement turc d’Erdogan a alors dû rejoindre, au moins sur le papier, la coalition constituée à la hâte par les États-Unis pour combattre l’EI. Mais il n’a pas changé de politique pour autant. Son gouvernement a continué à se comporter en complice de l’EI, voyant son ennemi principal dans les milices kurdes qui se mesurent avec l’EI sur le terrain.

L’attentat de Suruç, organisé par l’EI et qui a fait 32 morts et plus de 100 blessés parmi de jeunes militants turcs voulant manifester leur solidarité avec les Kurdes, a soulevé une forte émotion en Turquie et obligé Erdogan à faire semblant de s’en prendre à l’EI. Mais en fait l’attentat lui a servi de prétexte pour déclencher son offensive contre les Kurdes, tout en obtenant l’aval des États-Unis. Il a suffi pour cela de leur donner en échange l’autorisation d’utiliser la base turque d’Incirlik pour leurs opérations contre l’EI, ce que la Turquie refusait jusqu’à présent.

En Turquie même, si des arrestations ont lieu, elles visent bien plus les milieux d’extrême gauche ou les sympathisants de la cause kurde que les militants de l’EI, qui continuent d’agir comme ils veulent dans ce pays qui leur sert de base arrière. Dans l’immédiat, l’objectif d’Erdogan est politique. Les élections législatives du 7 juin ont été pour lui un échec, car son parti l’AKP n’a pas obtenu la majorité absolue. Le parti HDP, pro-kurde et se présentant comme le parti de toutes les minorités contre l’autoritarisme d’Erdogan, a réussi à obtenir 13 % des voix, franchissant la barre des 10 % nécessaire pour avoir des députés. Erdogan voudrait donc maintenant aller vers de nouvelles élections. En créant dans le pays un climat de tension, en mettant les Kurdes au banc des accusés, il espère empêcher le HDP de renouveler son exploit.

C’est ainsi que, pour tenter de redresser sa situation politique de plus en plus compromise, Erdogan relance la guerre contre les Kurdes de Turquie, une guerre qui dure depuis 1984 et qui pouvait sembler en voie de règlement. En même temps, en soutenant de fait l’EI, le régime turc contribue à entretenir la guerre civile en Syrie et en Irak. Quant aux États-Unis et à leurs alliés impérialistes, dont la France, ils apparaissent toujours plus incapables de contrôler une situation dont ils sont les premiers responsables. Leurs interventions militaires, leurs manœuvres pour attiser les divisions et les rivalités entre États de la région, leurs aides accordées plus ou moins directement à des chefs de milices plus réactionnaires les uns que les autres, ont créé cette situation de chaos qui leur échappe presque totalement. Leur allié Erdogan, avec ses petits et grands calculs, est en train d’y ajouter une pierre de plus.

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