Turquie : un attentat qui accuse « l’État islamique »... et le régime d’Erdogan29/07/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/07/2452.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : un attentat qui accuse « l’État islamique »... et le régime d’Erdogan

Lundi 20 juillet, « l’État islamique » (EI) a frappé en Turquie, à Suruç, petite ville turque proche de la Syrie. Un jeune kamikaze de l’EI s’est fait exploser au milieu d’un rassemblement de 350 autres jeunes, venus des différentes régions du pays dans le cadre d’une action de solidarité avec les Kurdes de Syrie. Il a fait 32 morts et 104 blessés dont certains très gravement.

L’EI a évidemment choisi sa cible. Les jeunes, pour beaucoup membres d’organisations d’extrême gauche, venaient de tenir une conférence de presse pour expliquer comment ils allaient aider les Kurdes en contribuant à reconstruire la ville de Kobané, en grande partie détruite cet automne lors des combats entre miliciens de l’EI et miliciens kurdes syriens.

L’EI avait déjà frappé en Turquie, notamment quelques jours avant les élections du 7 juin dernier lorsqu’une bombe avait explosé au milieu de la foule rassemblée à Diyarbakir, au Kurdistan turc, pour un meeting du HDP, le Parti démocratique des peuples, pro-kurde. Mais ce qui suscite l’indignation est la bienveillance, voire la complicité existant entre l’État turc et l’EI.

Au moins dans le cas de Diyarbakir, la police et les services de renseignement étaient très probablement au courant de la préparation de l’attentat. En tout cas, ils ne font rien pour empêcher les militants de l’EI d’agir, alors que ceux-ci vont et viennent, au vu et au su de tous, dans toute la région frontalière qui leur sert de base arrière.

Dans la soirée même de l’attentat, des manifestations de protestation ont eu lieu dans tout le pays. C’est le double jeu du pouvoir turc qui est mis en accusation. Le gouvernement turc d’Erdogan a favorisé l’action des islamistes de l’EI en espérant qu’elle permettrait d’abattre le régime syrien de Bachar el-Assad. Cela jusqu’au moment où la prise de pouvoir de l’EI dans une grande partie de l’Irak et de la Syrie a amené les dirigeants américains à réagir contre ce qu’ils avaient jusqu’alors soutenu.

La Turquie a alors rejoint officiellement la coalition constituée contre l’EI, tout en refusant en fait de combattre celui-ci. Elle a refusé d’autoriser l’utilisation des bases aériennes turques par l’armée américaine et continué à laisser l’EI agir en territoire turc. En effet, le gouvernement AKP d’Erdogan ne peut qu’apprécier une organisation ennemie non seulement du régime syrien, mais aussi des milices kurdes et du PKK, l’organisation qui combat pour l’autonomie du Kurdistan de Turquie.

Cette fois l’attentat de Suruç a soulevé en Turquie une telle vague d’indignation que le pouvoir turc s’est vu obligé d’agir, d’autant plus que, depuis des mois, les dirigeants occidentaux font pression sur Erdogan pour qu’il cesse de soutenir en sous-main l’action de l’EI. Depuis le 24 juillet, trois jours seulement après l’attentat de Suruç, l’aviation turque a donc lancé des raids pour frapper l’EI... mais aussi les camps du PKK au nord de l’Irak. Le gouvernement turc a aussi procédé à une série d’arrestations de militants de l’EI, tout en n’oubliant pas là encore d’arrêter aussi des nationalistes kurdes ou des militants d’extrême gauche.

Même si les bombardements sont spectaculaires, rien ne dit que pour autant le pouvoir turc mette fin à sa complicité avec l’EI. Car, dans la situation actuelle, « L’État islamique » rend aussi service à Erdogan sur le plan politique. Après les élections de juin, qui n’ont donné à son parti AKP que la majorité relative, Erdogan voudrait éviter de devoir former un gouvernement de coalition, et donc recourir à des élections anticipées. Il espère que le climat de tension créé par l’attentat de Suruç pourra les lui faire gagner, en empêchant cette fois-ci le HDP pro-kurde de franchir le barrage des 10 % des voix permettant d’avoir des élus.

Il reste que 32 jeunes militants sont morts et que 104 autres ont été blessés au cours de cet horrible attentat, pour le simple fait d’avoir voulu marquer leur solidarité avec la population kurde de Syrie en butte aux actions de l’EI favorisées par le gouvernement d’Erdogan. C’est toute la politique du régime et de l’État turcs qui est ainsi accusée.

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