Calais : un bidonville d’État08/07/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/07/2449.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Calais : un bidonville d’État

Mercredi 1er juillet, premier jour de canicule, quatre ONG ont lancé à Calais une opération d’urgence humanitaire, d’ordinaire réservée aux situations de guerre ou de catastrophe naturelle. Elles sont intervenues dans le camp installé à l’extérieur de la ville, où survivent actuellement près de 3 000 réfugiés, dans l’attente pour la plupart de réussir leur passage en Grande-Bretagne et, pour certains, de voir aboutir leur demande d’asile en France.

Des migrants se sont portés volontaires pour distribuer des récipients d’eau potable, des kits d’hygiène, pour construire des blocs sanitaires avec douches et toilettes, des abris, des cuisines collectives. Médecins du monde a commencé des consultations dans les cabanes installées dans la « jungle », pour des cas de gale, des infections respiratoires et digestives dues au manque d’accès à l’eau et à l’ingestion de sable, pour les blessures dues aux chutes des camions ou pour un soutien psychologique.

Il s’agissait, comme le dit le responsable de Solidarités international, de secourir les « personnes dont la vie est menacée, en couvrant leurs besoins vitaux : boire, manger, s’abriter... Ici à Calais, on peut dire que c’est pire que dans certains camps de Jordanie. » Un jeune médecin revenant d’Afrique disait : « Je ne croyais pas avoir un jour à faire une mission dans mon propre pays. » Un autre accusait lui aussi : « On est en deçà des standards des camps de réfugiés (...). C’est une réponse d’urgence, la France n’assume pas. On ne veut pas attendre qu’il y ait de la casse, des morts, avant de déclencher des mesures adaptées… C’est une volonté délibérée de ne pas protéger les gens. »

En effet, l’ouverture du centre Jules-Ferry en avril 2015 – cinq mois après la décision du ministre de l’Intérieur Cazeneuve ! – est une mesure dérisoire face à l’afflux des réfugiés.

Le centre, géré par une entreprise, en collaboration avec des associations d’aide aux migrants qui se sont démenées pour garder le contact avec eux, est un dispositif de jour prévu pour 1 500 personnes et 100 hébergements de nuit pour les femmes, avec une distribution de repas une fois par jour et quatre douches.

Cette structure, située à sept kilomètres du centre de Calais, permet aux autorités de cacher ces migrants qui, à leurs yeux, déparent l’image de la ville. En juin, la sous-préfecture a fait évacuer tous les squats et campements de la ville, sous la menace d’une intervention policière musclée. Même si les réfugiés s’y heurtaient à l’hostilité de certains habitants, ils y avaient aussi tissé des liens de voisinage et de solidarité, et ils étaient à proximité des commerces et des services urbains.

Depuis, leur situation est devenue encore plus dure. Ils se retrouvent concentrés hors de la ville aux abords du centre Jules-Ferry, loin de tout, sur une zone de dunes qui est une ancienne décharge. Au milieu des broussailles, ils ont construit peu à peu des abris de fortune, alignés le long des allées de sable, répartis par quartiers selon les différentes nationalités, et formant ce que les associations ont appelé un « bidonville d’État ». Ce no man’s land est longé par trois voies, dont l’autoroute conduisant vers le port, le long de laquelle un haut grillage est en construction. La police, qui y circule en permanence, interpelle ceux qui sortent du camp pour tenter de passer en Angleterre et les mène en centre de rétention.

L’opération d’urgence des ONG devrait durer plusieurs mois. Elles espèrent que les autorités françaises réagiront, notamment « en réalisant dans les plus brefs délais les aménagements promis ». Mais les associations d’aide aux migrants réclamaient depuis le mois de mars des points d’eau, des WC, des douches, et il a fallu attendre juin pour que des robinets supplémentaires et deux bennes à ordures soient installés.

Le ministre de l’Intérieur n’est pas pressé. Lors de sa rencontre le 2 juillet avec le ministre britannique de l’Immigration, la seule mesure prise a été le déblocage de moyens financiers pour combattre les gangs impliqués dans le trafic de migrants. Ce qui ne changera rien aux raisons qui, dans leur pays d’origine, poussent les réfugiés sur les voies de l’exil.

Quant au traitement humain des migrants, c’est bien le dernier de ses soucis. Mardi 7, au matin, l’un d’entre eux encore est mort en tentant d’emprunter le tunnel.

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