Burkina Faso : L'armée tire les ficelles de la transition19/11/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/11/lutte_ouvriere_2416.jpg.445x577_q85_box-0%2C130%2C1712%2C2350_crop_detail.jpg

Dans le monde

Burkina Faso : L'armée tire les ficelles de la transition

Le 31 octobre dernier, un soulèvement populaire chassait le dictateur Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-sept ans. La France était intervenue pour faciliter son évacuation en Côte d'Ivoire, où il vit actuellement un exil doré. Le lieutenant-colonel Isaac Zida, commandant en second du Régiment de la sécurité présidentielle, la garde prétorienne de l'ancien dictateur, avait pris le pouvoir et affirmé qu'il le remettrait à un civil dont la tâche serait d'assurer la transition et d'organiser des élections présidentielles en novembre 2015.

Un Conseil national de transition vient de nommer Président de la transition Michel Kafando, un ancien ambassadeur à l'ONU. Il s'agit de l'un des deux candidats civils qui étaient proposés ... par l'armée !

L'armée contrôle la situation...

Pendant les trois semaines qui ont suivi la chute du dictateur, le lieutenant-colonel Zida s'est efforcé de rassurer les représentants des puissances impérialistes. Il a reçu les chefs d'État de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et pris l'avis de l'Union africaine, ce club de dictateurs qui règnent en Afrique. Les chefs des partis d'opposition au régime de Compaoré, dont la plupart sont des ex-membres du CDP, l'ancien parti au pouvoir, ou des opposants de plus fraîche date, se sont précipités auprès des militaires pour les adouber.

Les leaders du « Balai citoyen », mouvement civique en pointe dans la lutte contre le régime, en ont fait autant et ensemble ils ont accouché d'une « charte » dite de « transition ». Celle-ci ne dit pas un mot sur la réalité du pays, ne remet pas en cause les vingt-sept ans de dictature, et surtout n'apporte aucune solution aux problèmes réels de la population et de la jeunesse burkinabés : corruption, misère, vie chère, chômage, absence de soins et d'éducation.

Ces politiciens, ces profiteurs de tous acabits, ces chefs religieux et coutumiers se sont donc retrouvés, aux côtés de l'armée, au sein de ce Conseil national de transition autoproclamé, pour faire en sorte que les choses changent le moins possible.

Et il est significatif que l'armée ait fait le forcing pour réintroduire dans les négociations certains dignitaires du CDP, parti de la dictature, qui est vomi par la population pauvre. Tous ces gens-là n'ont qu'une seule crainte : que la population ne redescende dans la rue et menace leurs privilèges.

... et met en place un homme de paille

Personne n'est dupe du jeu qui se joue au sommet de l'appareil d'État. À l'annonce de la nomination du diplomate, certains étudiants de l'université de Ougadougou, la capitale, qui avaient activement participé aux manifestations, affirmaient en substance que le problème n'était pas « de changer un homme mais le système » ; tandis que d'autres voyaient en lui, à juste titre, « l'homme de l'armée ». Michel Kafando n'est qu'un homme de paille dont la feuille de route est déjà toute tracée par les militaires : organiser un semblant d'élection comme cela se passait sous Compaoré et tromper les masses pauvres. Il n'a absolument aucune autre marge de manoeuvre.

Quand l'armée affirme « rendre officiellement le pouvoir aux civils » et « se mettre en retrait », c'est pour mieux faire croire que les choses changent, tout en tirant les ficelles en coulisses. Son rôle est de maintenir l'ordre, de préserver les intérêts des dignitaires du régime -- dont tous n'ont pas pu s'enfuir-et de l'impérialisme pour qui la stabilité politique au Burkina Faso est essentielle afin d'exercer un contrôle au Sahel et au Sahara.

Certes, le dictateur est parti, mais le régime est toujours en place, avec son pilier essentiel : l'unité d'élite, le Régiment de sécurité présidentielle, surarmé et entraîné par des instructeurs français. Cette unité est celle qui a mâté les soldats mutins en 2011 et récemment fait évacuer Compaoré avec l'aide de l'armée française. Gilbert Diendéré, l'ancien chef d'état-major particulier de Compaoré et l'exécuteur de ses basses oeuvres, véritable chef de la garde présidentielle, n'a pas quitté le pays. Il est toujours aux commandes, poussant sur le devant de la scène un subordonné moins connu.

La population pauvre du Burkina qui, par sa force et sa détermination a réussi à faire chuter le dictateur, n'a rien à attendre de cette « transition », contrôlée par l'armée, et qui, pour l'instant, se déroule sans elle et contre elle.

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