Bolivie : Morales et la voie étroite du réformisme15/10/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/10/une2411.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Bolivie : Morales et la voie étroite du réformisme

Avec 61 % des voix, le président sortant Evo Morales a été réélu pour la troisième fois, dès le premier tour de l'élection présidentielle en Bolivie le 12 octobre. Son parti, le MAS (Mouvement pour le socialisme), remporte 85 % des sièges à l'Assemblée législative. À l'exception d'une seule, il arrive en tête dans toutes les provinces du pays, y compris dans celle de Santa Cruz qui était le fief de ses opposants les plus radicaux, la droite et les grands propriétaires qui avaient tenté de le destituer il y a quelques années.

Incontestablement, Evo Morales, au pouvoir depuis 2006, continue de bénéficier d'un très large appui populaire, en particulier parmi les plus pauvres des campagnes et des villes. Quant à la bourgeoise locale, elle fait avec, et au final elle y a trouvé son compte, elle aussi.

Evo Morales n'est pas un révolutionnaire, il n'en a jamais revendiqué le titre. Mais il apparaît comme atypique, relativement aux dirigeants politiques d'Amérique latine et d'ailleurs. Il a tenu en partie ses promesses de faire que la population la plus pauvre profite un peu de la richesse des pays.

Pays de 10 millions d'habitants, la Bolivie était classée avant 2006 comme le pays le plus pauvre d'Amérique latine. Aujourd'hui, si elle reste dans le peloton de queue, cette place a été prise par le Paraguay. Evo Morales, indien comme la majorité de la population du pays, était un paysan pauvre qui a fait ses classes dans le syndicalisme paysan. Il a été élu après la vague de mobilisations populaires contre l'emprise des trusts internationaux de l'eau et des hydrocarbures, et contre le pouvoir en place qui en était la marionnette.

Morales a imposé une renégociation des partages des bénéfices des grandes compagnies gazières et pétrolières, et ensuite minières. Il n'y a pas eu d'expropriation ni même de nationalisation massive. L'État ne possède en propre que 20 % des capacités de production de gaz, la principale ressource du pays, mais il taxe entre 75 et 85 % les bénéfices des grandes compagnies. Au moment où le prix des hydrocarbures et singulièrement du gaz s'envolaient, cela a permis d'importantes rentrées et a ouvert la voie à une redistribution partielle en faveur des populations les plus pauvres. En huit ans, la richesse nationale été multipliée par trois, tout comme le revenu par habitant.

Sur le plan social, le taux de grande pauvreté est passé de 38 % à 18 %. Le salaire minimum a été multiplié par trois, même si, selon les sources, il plafonnerait aujourd'hui autour de 200 euros par mois. Une politique sociale a été menée en faveur des paysans les plus pauvres, pour l'alphabétisation et pour la santé, avec l'aide de Cuba. Sur le plan politique et culturel, il y a eu pour la première fois une promotion des populations indiennes, méprisées et reléguées jusqu'ici. Des aides spécifiques ont été accordées aux mères et aux personnes de plus de 60 ans.

Tout cela explique la popularité de Morales auprès des populations pauvres, qui sont l'immense majorité. Quant à la bourgeoisie locale, qui n'a pas du tout été expropriée, elle a bénéficié de l'amélioration générale du niveau de vie et d'une partie de la manne financière qui partait auparavant dans les seuls coffres des multinationales. L'inflation, qui galopait jusqu'à 24 000 % avant 1985, est revenue à un niveau à peu près normal. Tout cela entretient un climat favorable aux affaires.

Morales fait le pari du développement national de la Bolivie. Il a eu à affronter une large mobilisation populaire quand, au nom de ce développement national, en 2011, il a voulu augmenter de 80 % le prix des carburants, et il a dû reculer démonstrativement.

Mais jusqu'à présent le fait de ne pas être soumis aux intérêts exclusifs de l'oligarchie, dépendance habituelle de l'impérialisme, et d'abord bien sûr de l'impérialisme américain, lui a permis de garder son appui populaire.

En d'autres temps, l'impérialisme américain a défait des gouvernements pour beaucoup moins que ce qu'a fait Morales, mais il fait pour l'instant d'autres choix. Cependant cette amélioration, modérée mais certaine, des conditions de vie de la population pauvre dépend totalement de l'évolution des prix des hydrocarbures et des minerais. Si la dépression qui gagne dans le monde vient à toucher le pays, la marge de manoeuvre de Morales risque de se réduire et les intérêts de la population pourraient ne plus être garantis. La capacité toujours renaissante de révolte et de combativité de la population pauvre et des travailleurs de Bolivie restera leur meilleur atout.

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