Il y a 80 ans aux États-Unis : Les grandes grèves de camionneurs à Minneapolis13/08/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/08/une2402.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a 80 ans aux États-Unis : Les grandes grèves de camionneurs à Minneapolis

Le 17 juillet 1934, les camionneurs de Minneapolis, ville d'un demi-million d'habitants du centre des États-Unis, commençaient leur troisième grève. Elle allait durer six mois et marquer le début de la contre-offensive de la classe ouvrière américaine.

Depuis la crise financière de 1929, la bourgeoisie américaine tentait de freiner la chute de ses profits en faisant peser sur les travailleurs tout le poids de la crise. En 1933, au plus profond de celle-ci, un quart de la population active, soit 13 millions de personnes, était au chômage. Quant aux salaires, ils avaient baissé de moitié depuis 1929.

À Minneapolis, la section locale 574 du syndicat AFL des camionneurs, les teamsters, comprenait des militants trotskystes exclus du Parti communiste américain quelques années auparavant pour avoir critiqué la bureaucratie soviétique et la politique de son dirigeant, Staline. Une première grève, en février 1934, limitée à un seul dépôt de charbon mais victorieuse, avait accéléré la croissance de la section syndicale, passée de 75 à 3 000 membres.

En vue des batailles à venir, une alliance se constitua dans le syndicat entre les militants syndicaux les plus combatifs et les trotskystes. Cette alliance s'opposa aux dirigeants nationaux du syndicat des teamsters de l'AFL, qui exigeaient que toute grève reçoive d'abord leur approbation et préféraient s'entendre avec les patrons du secteur.

La campagne de syndicalisation et la grève

Au printemps 1934, la section syndicale s'adressa à tous les travailleurs des transports de Minneapolis, sans distinction corporatiste (chauffeurs routiers, livreurs, travailleurs des entrepôts, taxis, etc.) au cours d'une campagne de syndicalisation. Les femmes aussi furent approchées, les plus militantes organisées dans une formation d'auxiliaires syndicales. Puis la grève fut déclenchée, contre l'avis des dirigeants syndicaux nationaux, le 16 mai 1934.

Ce jour-là, des piquets de grève fixes bloquèrent les entrepôts de la ville et entraînèrent leurs collègues dans la grève, pendant que des patrouilles motorisées parcouraient les rues pour intercepter des camions confiés par les patrons à des briseurs de grève. La grève, bien organisée et militante, attira rapidement des milliers de travailleurs se pressant au QG des grévistes. Des assemblées générales allaient s'y tenir chaque jour, devant un auditoire allant jusque dans la rue, 2 000 à 3 000 travailleurs écoutant grâce à des haut-parleurs.

Au bout de deux jours, plus aucun camion de livraison ne put circuler efficacement dans la ville. Face à une grève totale du secteur du transport, le patronat recruta des milices et, avec la police, se prépara à affronter directement les grévistes au marché central de Minneapolis.

Le choc eut lieu le matin du 21 mai : 600 travailleurs, cachés dans un immeuble proche durant la nuit précédente, bien organisés et armés de bâtons, firent irruption et forcèrent la milice patronale à s'enfuir, laissant la police se battre seule pour le compte des patrons. Elle aussi finit par se retirer, avec 30 blessés. Le marché était aux mains des grévistes.

La bataille recommenca le lendemain, toujours au marché. La police, se méfiant des 1 500 miliciens qui avaient détalé la veille, fit en sorte qu'ils soient en première ligne ce jour-là face aux milliers de grévistes soutenus par une foule de travailleurs et devant les journalistes de la radio venus faire des reportages en direct. L'affrontement recommença et se solda par une victoire des grévistes encore plus nette que la veille. Deux miliciens patronaux trouvèrent la mort ce jour-là au marché.

Les patrons de Minneapolis durent alors céder, accordant une augmentation doublant le salaire de la plupart des chauffeurs et reconnaissant la section syndicale 574 des teamsters. Cependant le sort des travailleurs des entrepôts n'était pas réglé : selon la lecture patronale de l'accord, ils en étaient exclus.

En réalité, la lutte n'était qu'ajournée, car les patrons ne respectèrent pas l'accord conclu. Une grande manifestation suivie d'un meeting rassemblant 12 000 travailleurs, aux cris de « Que Minneapolis devienne une ville syndiquée », eut lieu le 6 juillet. Un comité de grève de cent membres fut élu, comprenant la direction de la grève de mai et des travailleurs surgis du rang.

La répression et l'extension de la grève

La nouvelle grève débuta le 17 juillet. Le gouverneur de l'État du Minnesota mobilisa d'entrée la Garde nationale pour « la préservation de la loi et de l'ordre » et les patrons menacèrent les grévistes de licenciement s'ils ne reprenaient pas le travail sous les trois jours. Le 20 juillet, la police tira sur les piquets, blessant 47 grévistes ainsi qu'une dizaine de passants. Deux grévistes allaient succomber à leurs blessures les jours suivants.

Cette répression allait se révéler impuissante. La grève s'étendit aux transports publics, pour protester contre la violence policière. 40 000 personnes participèrent à une marche funèbre pour le camionneur Henry Ness, tué par la police. Une pétition réclamant la destitution du chef de la police allait recueillir 140 000 signatures. Chaque jour, des dizaines de personnes vinrent proposer leurs services au comité de grève, bien au-delà des rangs syndicaux. Le journal quotidien des grévistes The Organizer, contrebalançant le parti-pris propatronal des quotidiens et des bureaucrates syndicaux, vit son tirage monter à 10 000 exemplaires.

Le 26 juillet, craignant une insurrection, le gouverneur déclara la loi martiale, déployant 4 000 soldats autour des entrepôts et interdisant les piquets de grève. Au milieu de la nuit, les soldats armés de mitrailleuses encerclèrent le QG de la grève, arrêtèrent des dirigeants, ainsi que les ouvriers blessés qui y étaient soignés et leur médecin. Puis les domiciles furent perquisitionnés.

À partir de là, les piquets n'allaient plus être organisés à partir d'un seul QG, cible trop facile pour les soldats du gouverneur, mais décentralisés. Compte tenu de l'expérience déjà acquise par les grévistes du rang, ils s'avérèrent tout aussi efficaces.

Malgré les arrestations pour piquet de grève illégal et la condamnation de certains grévistes par un tribunal militaire à 90 jours de travaux forcés, le 6 août un meeting de 40 000 travailleurs fit craquer les barrières corporatistes entretenues par les patrons et les bureaucrates syndicaux. Au cours de la grève, 4 000 travailleurs d'autres secteurs que le transport s'étaient syndiqués. La menace d'une grève générale à l'échelle de la ville incita Roosevelt, depuis Washington, à faire pression sur le patronat local pour qu'il transige avec la section syndicale 574.

Le début d'une vague de grèves

Les patrons finirent alors par accepter d'étendre à tous les travailleurs du transport les augmentations de salaire gagnées en mai par les chauffeurs, et de reconnaître le syndicat 574 des teamsters. Dans la foulée, les travailleurs des blanchisseries de Minneapolis se mirent eux aussi en grève et obtinrent de suite un accord similaire, le patronat ne voulant pas refaire l'expérience d'une confrontation frontale.

À ces grèves massives et victorieuses de Minneapolis allait s'ajouter la même année 1934 la grève de l'automobile de Toledo, la grève des dockers de la côte Ouest débouchant sur une grève générale à San Francisco et la grève nationale des travailleurs du textile. Une impulsion était donnée à la classe ouvrière de l'ensemble des États-Unis.

Pendant des années, le pays allait être le théâtre de grandes luttes grévistes, parfois défaites mais souvent victorieuses. Elles allaient déboucher à partir de 1936 sur des occupations d'usines faisant plier un grand trust comme General Motors. Non seulement une partie du prolétariat américain allait défendre ses conditions d'existence, mais il allait imposer des augmentations de salaire à la bourgeoisie américaine alors que l'économie capitaliste se débattait dans la crise.

Les appareils syndicaux réussirent cependant finalement à contrôler ce vaste mouvement et à maintenir les barrières corporatistes séparant les différentes fractions du prolétariat américain. La formidable combativité des travailleurs américains dans les années 1930 ne déboucha pas sur une prise de conscience politique révolutionnaire. La guerre mondiale, au contraire, allait être pour la bourgeoisie des États-Unis l'occasion d'embrigader les travailleurs et de leur insuffler son idéologie patriotique.

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