Île de La Réunion : Manifestations pour avoir un travail27/02/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/03/une2326.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Île de La Réunion : Manifestations pour avoir un travail

L'annonce par le gouvernement en novembre dernier de la mise à disposition de 5.000 emplois d'avenir pour La Réunion, même si elle ne permettait pas de donner du travail à tous les jeunes chômeurs (ils sont 22 500 âgés de 18 à 25 ans), a tout de même suscité un réel espoir parmi eux. Espoir déçu, puisque deux mois plus tard rien ou presque n'était encore fait. À ce jour, à peine 200 emplois d'avenir ont été signés à La Réunion.

Communes et département traînent des pieds, disant ne pas avoir des moyens financiers suffisants pour pouvoir signer lesdits contrats et payer les 25 % du salaire restant à leur charge, auxquels s'ajoutent des frais d'apprentissage. La région quant à elle, par la voix de son président, l'UMP Didier Robert, a pour l'heure tout bonnement refusé d'appliquer les directives gouvernementales.

C'est cette situation qui a mis le feu aux poudres. Les manifestations avec blocage de rues ont commencé le samedi 26 janvier, quand des jeunes de la cité La Bourdonnais de Saint-Benoît ont bloqué le centre-ville pour réclamer des contrats. Puis, dans les jours qui ont suivi, le mouvement a gagné d'autres communes. Les manifestants sont à chaque fois peu nombreux, quelques dizaines tout au plus, mais toujours déterminés et soutenus par la majorité de la population pauvre. Le 6 février, la colère s'est exprimée dans le quartier de La Palissade à Saint-Louis, où les manifestants, rejoints par des jeunes d'autres quartiers, se sont ensemble dirigés vers la mairie. Quelques jours auparavant le maire, Claude Hoarau (PCR), avait déclaré que « Zanfan y plèr pa y gaign pa tété » (celui qui ne crie pas n'a rien). Cette fois-ci, il a été servi en décibels. Des commerçants du centre, accusés de s'enrichir sur le dos de la population, ont été contraints de fermer leurs boutiques.

Le 15 février, le mouvement a gagné la ville du Port, et en particulier le quartier déshérité de la Rivière des Galets. C'est dans ce quartier qu'un an auparavant la colère populaire avait éclaté contre le chômage et la vie chère. Cette fois-ci les manifestants, jeunes et moins jeunes, ont décidé de bloquer plusieurs carrefours, toujours pour réclamer des emplois d'avenir. Un camion de chantier s'est vu intimer l'ordre de vider son chargement pour bloquer un rond-point, un convoi exceptionnel a été utilisé pour en barrer un autre. Pris à partie, le maire (PCR) a déclaré ne pouvoir s'engager que sur une quinzaine de contrats. La mobilisation s'est donc poursuivie plusieurs jours encore. Le mercredi 20 février la mairie annexe de la Rivière des Galets a été détruite par un incendie, ainsi que la voiture d'un passant qui voulait forcer le passage.

Si les contrats aidés tardent à venir, la répression ne s'est pas fait attendre. Plusieurs dizaines de manifestants, photographiés par la police pendant les affrontements, ont été arrêtés à leur domicile pour agression envers les forces de l'ordre, accusés de jets de galets, détérioration de mobilier public, refus d'obtempérer aux sommations de dispersion. L'un d'entre eux à Saint-Louis, un père de quatre enfants au RSA, a été condamné à dix mois de prison. Quatre autres ont écopé de peines allant de deux à quatre mois ferme. D'autres s'attendent à faire de la prison parce qu'ils ont osé réclamer le droit à vivre de leur travail. Beaucoup d'autres encore devront payer des milliers d'euros d'amende alors qu'ils n'ont aucun revenu.

Tout ce que l'île compte de privilégiés a insulté et sali les manifestants. Et maintenant, avec le retour fragile au calme, les patrons avancent sans pudeur leurs revendications. Eux aussi veulent être aidés. Le président du Medef local a ainsi souhaité que « les modalités de recrutement soient identiques pour les secteurs marchand et non marchand », ajoutant que « les contrats destinés aux publics les plus défavorisés doivent pouvoir s'appliquer à nos entreprises, en bénéficiant d'un accompagnement de l'État à la même hauteur que les CUI-CAE (contrats d'avenir) non marchands basés sur une aide de l'État de 75 % sur base smic ». Les patrons du privé demandent donc l'égalité de traitement avec le secteur public. En clair, en pompant dans les caisses de l'État, ils veulent pouvoir bénéficier d'une main-d'oeuvre qu'ils n'auraient pour ainsi dire pas à payer.

Ces mêmes patrons bénéficient déjà des aides de l'État qui, à La Réunion, se montent à un milliard d'euros chaque année. Ils doivent 1,2 milliard d'euros aux caisses de la Sécurité sociale, de retraite, de prévoyance, mais ils exigent que les pouvoirs publics effacent leurs dettes sociales. Certains d'entre eux viennent de priver 4 000 ouvriers du BTP du paiement total ou partiel de leurs congés annuels et de leur salaire de janvier. Tous sont responsables de l'envolée du nombre des chômeurs qui, en l'espace de six ans, est passé de 100 000 à 160 000 dans l'île. C'est là qu'il faut chercher les responsables du chômage, des bas salaires et du non-respect du droit des travailleurs, et ce sont eux qu'il faut faire payer. Voilà ce qu'ont visiblement compris certains manifestants qui, au Port et à Saint-Louis, ont revendiqué que les entreprises embauchent également.

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