Il y a 90 ans, 11 janvier 1923, l'occupation de la Ruhr : Quand les partis communistes défendaient l'internationalisme09/01/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/01/une2319.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a 90 ans, 11 janvier 1923, l'occupation de la Ruhr : Quand les partis communistes défendaient l'internationalisme

En janvier 1923, l'occupation par des troupes françaises de la région allemande la Ruhr fut une sorte de suite de la Première Guerre mondiale. Cette guerre entre « brigands impérialistes » pour le partage des territoires et des richesses du monde s'était terminée un peu plus de quatre ans plus tôt. On assistait alors au reflux de la vague révolutionnaire qui, à la fin de la guerre, avait ébranlé la domination de la bourgeoisie en Europe. Celle-ci relevait la tête et entendait faire payer sa peur.

Face à cet acte de brigandage et à la déferlante nationaliste qui l'accompagnait, surtout en Allemagne, les jeunes partis communistes français et allemand surent alors défendre une politique internationaliste et affirmer que, par-delà les frontières, le sort des travailleurs français et allemands était lié.

L'Allemagne était sortie vaincue de la Première Guerre mondiale et, à ce titre, avait été contrainte par le traité de Versailles à payer aux vainqueurs la somme exorbitante de 132 milliards de marks-or, en plus de livraisons en nature, au titre de « réparations » pour les destructions industrielles commises notamment dans le nord de la France et en Belgique. Or, en tant que pays vaincu, l'Allemagne avait perdu deux régions minières et industrielles, la Lorraine, qui retournait à la France, et une partie de la Silésie, cédée à la Pologne ; par ailleurs, son appareil productif tardait à redémarrer. Le versement des « réparations » aux pays vainqueurs avait donc pris du retard. Ceci s'ajoutait à la dévaluation du mark qui en diminuait de fait le montant.

Face à ce qu'il considérait comme de la mauvaise volonté, le gouvernement du Bloc national de Poincaré décida de se saisir de « gages productifs », en occupant militairement la Ruhr, région la plus industrielle de l'Allemagne. Le gouvernement belge suivit et renforça de quelques troupes les forces françaises.

Cette décision ne fit cependant pas l'unanimité parmi les vainqueurs. La Grande-Bretagne et les États-Unis craignaient en effet que la France n'ait l'ambition de créer un nouvel État placé sous son protectorat et regroupant la Lorraine, la Rhénanie (déjà occupée) et la Ruhr, ce qui serait revenu à créer en Europe une puissance industrielle concurrente. Un industriel américain, Dawes, établit en 1924 un plan d'étalement du paiement des réparations et, à force de pressions sur le gouvernement français, celui-ci finit par l'accepter et il retira ses troupes le 25 août 1925.

« Résistance passive » des industriels et nationalisme

Le 13 janvier 1923, 47 000 soldats français et belges entrèrent donc dans la Ruhr, prirent position dans les principales villes industrielles et autour des puits de charbon. L'armée prit aussi le contrôle des chemins de fer, expulsant vers les autres Länder 1 400 cheminots et faisant appel à leurs homologues français ou belges pour les remplacer.

Aussitôt, les gros industriels (Thyssen, Stinnes, Krupp, etc.), soutenus par le gouvernement allemand de Cuno, décrétèrent la « résistance passive » et appelèrent leurs ouvriers à une « grève patriotique » pour défendre leurs intérêts de capitalistes. Ils ne furent guère suivis par les ouvriers, ceux-ci sachant bien qui étaient les véritables responsables de leur misère, et cette grève ne fut qu'une parade verbale.

Parallèlement, le gouvernement allemand lança une campagne nationaliste, présentant l'Allemagne comme un État soumis au diktat de pays impérialistes, oubliant au passage qu'elle en faisait partie. Cela réveilla les anciens corps francs, ces groupes paramilitaires d'extrême droite qui avaient participé à l'écrasement de la révolution ouvrière de 1919. Ils se lancèrent dans des attaques contre les troupes d'occupation et des sabotages, espérant par ces actes terroristes rallier les travailleurs à leur cause.

L'armée française répondit par la répression, emprisonnant des industriels comme Fritz Thyssen junior ou Gustav Krupp, ou faisant exécuter des auteurs de sabotage tel Leo Schlageter dont les nazis allaient plus tard faire un héros. Mais ses principales victimes furent parmi la population de la Ruhr. Dans plusieurs endroits, les soldats tirèrent sur les travailleurs qui manifestaient contre la vie chère et le chômage, quand la police allemande ne le faisait pas elle-même. Quelque 130 personnes furent tuées durant la période d'occupation.

Les PC contre le nationalisme et le militarisme

Face à cette situation explosive et à la remontée des idées nationalistes, les jeunes partis communistes allemand et français, nés fin 1918 et fin 1920, défendirent de toutes leurs forces une politique internationaliste, cherchant à lier les prolétariats des deux pays dans une lutte commune contre leurs dirigeants.

Avant même l'occupation de la Ruhr, des représentants de différents partis communistes d'Europe et de la CGTU (la centrale syndicale française liée au mouvement communiste) se réunirent le 6 janvier à Essen pour déclarer la « guerre à la guerre impérialiste ».

Pour le KPD, le Parti communiste d'Allemagne, la tâche n'était pas simple : il devait participer aux manifestations de colère des travailleurs de la Ruhr tout en combattant le nationalisme mis en avant par la grande bourgeoisie et une extrême droite qui étendait son influence. Si certains de ses dirigeants, comme Talheimer, défendirent dans un premier temps l'idée que l'Allemagne était dans la position d'un pays colonisé et que le parti devait de ce fait accepter des alliances avec la bourgeoisie contre l'occupant, cette ligne ne fut pas suivie. Le mot d'ordre mis en avant par le KPD fut au contraire de « combattre Poincaré sur la Ruhr et Cuno sur la Spree » (la rivière de Berlin). Le 23 février, un éditorial de son quotidien Die Rote Fahne (le Drapeau rouge) affirmait que la bataille de la Ruhr était « un conflit entre bourgeoisies sur le dos de la classe ouvrière allemande ». Sur cette base, le KPD tenta d'étendre aux autres centres industriels d'Allemagne la colère des ouvriers de la Ruhr, sans y parvenir cependant.

Mais c'est aux militants communistes français qu'il revenait en premier lieu de se battre contre l'occupation de la Ruhr, puisque leur impérialisme était l'agresseur. Et le PC ( Section française de l'Internationale communiste) fut alors à la hauteur de la tâche.

En France, il diffusa des tracts et effectua une série de meetings pour dénoncer la politique nationaliste du gouvernement et appeler les travailleurs à soutenir « leurs frères allemands ». La répression ne se fit pas attendre : une quinzaine de militants furent arrêtés, dont Cachin et Treinet, deux dirigeants du PC, et Monmousseau de la CGTU, pour « complot contre la sûreté de l'État ».

De par leur âge et leur position, c'est cependant aux militants des Jeunesses communistes qu'incomba l'essentiel du travail en direction de l'armée, composée à cette époque majoritairement de conscrits. Ils y menèrent une intense propagande, d'abord en France où ils diffusèrent des milliers de tracts et affiches appelant à la fraternisation avec les travailleurs allemands ; ils éditèrent un mensuel à l'intention des soldats, La Caserne, étendant la distribution aux troupes stationnées en Allemagne. Il y eut même une édition en arabe pour les troupes coloniales. Parallèlement, ils s'adressèrent aux travailleurs allemands en distribuant des tracts bilingues.

Malgré la répression (37 militants furent condamnés en 1924 à un total de 130 années de prison), le travail des JC porta ses fruits : des soldats refusèrent de tirer sur les travailleurs allemands qui manifestaient, certains même les rejoignirent dans les manifestations, chantant L'Internationale, ou participèrent à des fêtes syndicales.

Mais en dépit de leur engagement militant et leur volonté de s'opposer au militarisme français, tout comme en Allemagne l'action des militants communistes resta minoritaire dans la classe ouvrière française. Cependant, ils montrèrent par leurs actes comment des militants communistes pouvaient lutter pour dépasser les divisions entre travailleurs sur lesquelles s'appuient les capitalistes dans le but de maintenir leur domination.

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