Les pouvoirs publics et les patrons de l'amiante10/10/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/10/une2306.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les pouvoirs publics et les patrons de l'amiante

Martine Aubry a été convoquée par la juge d'instruction qui enquête sur l'action des pouvoirs publics face au danger de l'amiante. Cela rappelle, quelques mois après la condamnation à seize ans de prison, par un tribunal italien, de deux dirigeants de la société Eternit, que l'État français s'est, lui aussi, rendu complice de l'exposition à ce minéral de dizaines de milliers de personnes.

Nombre de hauts fonctionnaires en poste dans des administrations ayant eu voix au chapitre en matière d'usage de l'amiante dans les années 1980 ont déjà dû témoigner devant la justice. Un des adjoints de Martine Aubry, lorsqu'elle dirigeait les relations du travail de 1984 à 1987, au sein du ministère du même nom, a été mis en examen. À présent, elle devra peut-être expliquer pourquoi, alors qu'une réglementation de l'usage de l'amiante avait été décrétée en 1977 -- et seulement en 1977 --, les ministères directement concernés, la Santé et le Travail, avaient laissé le champ libre aux industriels de l'amiante pour gérer les études sur la mortalité et la communication sur le sujet.

En effet, alors que des études scientifiques en avaient dès 1931 dénoncé les risques, ce qui avait conduit la Grande-Bretagne à adopter alors des premières mesures réglementaires, c'est en 1945 seulement que l'amiante a été reconnu comme source de maladie professionnelle en France. Et la réglementation mise au point en 1977, tardive et insuffisante de l'avis de tous les spécialistes, s'est rapidement trouvée étouffée par le rôle prééminent confié au Comité permanent amiante, le CPA, créé en 1982 par les industriels de l'amiante.

Se présentant comme une association spécialisée dans les risques liés à l'usage du minéral, le CPA, entièrement financé par les patrons de l'amiante, bénéficiait de la caution de l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) et de hauts fonctionnaires appartenant aux ministères du Travail, de la Santé et de l'Environnement. Des représentants de l'Institut national de la consommation ou de la Sécurité sociale ainsi que quelques syndicalistes CFDT ou CGT y siégeaient également.

Au même moment, un peu partout, aux États-Unis en 1986, dans le cadre de la CEE en 1991, on envisageait d'interdire purement et simplement l'amiante. Mais le CPA, qui se présentait comme l'autorité scientifique compétente, mettait tout en oeuvre pour retarder cette décision. Combien de victimes, de futures victimes -- mésothéliomes ou cancer du poumon pouvant se déclencher trente ou quarante ans après l'exposition -- sont à imputer au lobbying exercé par les patrons de l'amiante, matériau si rentable à leurs yeux. « Nous nous sommes tous fait rouler », commentait curieusement Brochard, un pneumologue qui fut membre du CPA.

C'est le gouvernement Juppé qui, en 1995, a dissous ce comité, en lançant le processus d'interdiction d'usage de l'amiante, qui a abouti en 1997. Les fabricants, les gros utilisateurs mais également les autorités qui ont laissé si longtemps la santé publique entre leurs mains sont responsables de 35 000 décès entre 1965 et 1995 à la suite des maladies de l'amiante. D'ici quinze ans, 100 000 autres pourraient être imputés à leur soif de profit ou à leur négligence.

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