Élection présidentielle : Les leçons du premier tour26/04/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/04/une2282.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Élection présidentielle : Les leçons du premier tour

Hollande et Sarkozy, arrivés en tête avec, respectivement, 28,63 % et 27,18 %, restent donc en lice pour l'élection du président de la République.

Si Hollande est élu, comme le prévoient les commentateurs, le moins qu'on puisse dire c'est que ce retour du Parti socialiste au pouvoir ne sera pas l'expression d'une poussée à gauche.

Seul le mécontentement contre Sarkozy a donné des ailes au candidat socialiste, et sûrement pas son programme ni même le ton de ses discours. En comparaison, le discours de Mitterrand lorsqu'il avait été élu en 1981 était d'un radicalisme quasi révolutionnaire. D'un radicalisme purement verbal, certes, comme la suite l'a montré. Mais, dans le langage de Hollande, il n'y avait vraiment rien pour les travailleurs, ni même de quoi enthousiasmer ce « peuple de gauche », comme l'électorat du PS et du PC aime à être qualifié. Même Régis Debray, conseiller de Mitterrand à l'époque, qui n'a rien d'un gauchiste, s'est étonné récemment, dans une interview radiophonique, de la tiédeur du programme de Hollande, où ne figure même pas le mot « nationalisation » ! Si le slogan de Hollande est « Le changement, maintenant », c'est bien le seul endroit où il a été question de changement, à part bien sûr le changement de la personne qui occupe le fauteuil présidentiel.

Les déplacements de voix à l'intérieur de chaque camp mènent à la même constatation : les voix que Sarkozy a perdues l'ont essentiellement été au profit de l'extrême droite.

C'est un euphémisme de dire qu'il n'y a pas eu un déplacement de voix de la gauche réformiste vers la candidature communiste révolutionnaire de Nathalie Arthaud, ni vers l'extrême gauche représentée par Philippe Poutou.

Même le Front de gauche de Mélenchon, qui grisé par les évolutions des sondages croyait tailler des croupières à Hollande, voire le dépasser, a dû se contenter de 11,10 %. Résultat qui est certes supérieur à ceux des candidats du PC en 2007 avec Marie-George Buffet et en 2002 avec Robert Hue, mais bien loin de ceux du PC avant que son suivisme derrière le PS fasse plonger ses résultats électoraux.

Globalement donc, non seulement il n'y a eu nulle poussée à gauche, mais au contraire un renforcement de la droite extrême. Signe d'un électorat populaire démoralisé, qui ne voit pas d'issue du côté de la gauche institutionnelle et qui, même pour exprimer son hostilité et son écoeurement devant les alternances qui ne changent rien pour sa vie, se tourne vers l'extrême droite.

Et cet aspect ne pourra être que renforcé pendant la campagne du deuxième tour.

C'est une évidence que Hollande ne gauchira pas son langage et qu'au contraire sa préoccupation est de séduire l'électorat de Bayrou, et même une fraction de ceux qui ont voté pour Marine Le Pen. On verra au prix de quelles concessions. Mélenchon, au lieu de faire pression dans le sens de pousser Hollande à prendre en compte un peu plus les exigences des travailleurs, comme il l'a promis avant le premier tour, tient à faciliter l'opération de séduction en direction du centre en répétant qu'il ne demandera rien en contrepartie de son soutien à Hollande. Histoire de rassurer les électeurs de Bayrou : ils peuvent voter tranquillement pour Hollande car non seulement celui-ci ne sera pas l'otage de Mélenchon, contrairement aux âneries répétées par Sarkozy, mais c'est Mélenchon en personne qui leur garantit qu'il ne faut pas prendre trop au sérieux ses envolées en faveur des travailleurs.

Quant à Sarkozy, s'il est dans son intérêt à lui aussi d'attirer vers sa candidature une partie de l'électorat centriste, il a encore plus intérêt à toucher l'électorat d'extrême droite. C'est donc « à droite, toute ! », non seulement en remontant encore plus les barrières devant l'immigration, mais aussi en tapant sur les travailleurs immigrés, en rendant leur vie plus difficile (quasi-impossibilité du regroupement familial, etc.). Marine Le Pen n'est pas au deuxième tour mais, grâce à Sarkozy, les thèmes de sa campagne y sont dans ce qu'ils ont de plus réactionnaire et de plus chauvin.

La montée électorale de l'extrême droite

Marine Le Pen n'a donc pas réussi le coup réalisé par son père en 2002 lorsqu'il était parvenu au deuxième tour, grâce à l'effondrement du candidat du Parti socialiste, Jospin, qui au gouvernement avait déçu et démoralisé son propre camp électoral. Mais, avec 6 400 000 voix, 17,90 % de l'électorat, Marine Le Pen a recueilli 950 000 voix de plus que le total de celles de son père et du dissident FN Bruno Mégret en 2002.

Ce n'est peut-être qu'un phénomène électoral agglomérant une multitude de mécontentements autour du noyau dur du mouvement d'extrême droite réactionnaire, antiouvrier et xénophobe. Et ce n'est pas parce que Marine Le Pen a recueilli un nombre accru de voix dans l'électorat ouvrier que cela rend ses thèmes meilleurs. Ceux parmi les exploités et les pauvres qui ont voté pour le Front national ont apporté leur soutien à leur pire ennemi.

Pour le moment, le jeu politique du Front national semble être d'entrer dans le jeu institutionnel sur la base d'un rapport des forces tel que les autres partis de droite, l'UMP en premier lieu, ne puissent plus le frapper d'ostracisme. C'est cet ostracisme qui, en interdisant au Front national non seulement l'accès à des postes de ministres mais même d'avoir des députés et un groupe parlementaire, lui a offert son argument le plus précieux : celui de ne pas faire partie du « système ».

Au fil des fausses alternances, le Front national a réussi à se positionner comme un parti anti-système, en vidant par la même occasion cette expression de tout contenu social, en la canalisant et en la limitant à l'alternance entre deux grands partis, un de gauche et un de droite (contre le seul système « UMPS », comme le répètent les ténors du Front national).

À ce qu'il paraît, en extrapolant aux législatives le score de Le Pen à la présidentielle, le Front national serait en mesure de se maintenir au second tour dans plus de trois cents circonscriptions.

Le rapport des forces créé à l'élection présidentielle suffira peut-être au Front national pour faire son entrée à l'Assemblée nationale, soit en obtenant la majorité dans un certain nombre de circonscriptions, soit en débauchant par endroits des députés UMP.

La frontière entre le Front national et l'UMP n'a jamais été une muraille de Chine, malgré le refus de la direction de l'UMP de passer des accords électoraux globaux avec le Front national.

À ce qu'elle en dit, Marine Le Pen ambitionne plus que cela : elle compte sur une implosion de l'UMP si Sarkozy est battu, et surtout si sa défaite est sévère.

Ce calcul sera-t-il justifié ou pas, l'avenir le dira. Marine Le Pen se pose en tout cas d'ores et déjà comme la future chef de l'opposition à Hollande et au gouvernement socialiste.

Là, on est encore dans une évolution dans le cadre institutionnel. L'émergence d'un grand parti d'extrême droite hégémonique à l'intérieur de la droite parlementaire pourrait n'être que l'accomplissement ultime d'une évolution que l'UMP elle-même incarne à sa façon, avec sa droitisation. Toute une partie des cadres de l'UMP pourraient parfaitement se reconvertir dans un tel rassemblement dominé par le Front national.

De tels grands partis d'extrême droite ont émergé, de l'Autriche à la Finlande, de la Suisse à la Norvège, dans une Europe frappée par la crise, et partout pour la même raison : l'incapacité de la gauche réformiste de donner une perspective aux classes exploitées, face à l'offensive de la classe capitaliste.

Même telle quelle, l'évolution représente une menace pour la classe ouvrière. Elle représenterait la mainmise sur la scène politique de la formation la plus réactionnaire et fondamentalement la plus antiouvrière de tous les partis au service de la bourgeoisie. Avec tout ce que cela pourrait représenter de durcissement dans le domaine des droits sociaux, à l'égard des syndicats, du mouvement ouvrier organisé, etc.

La menace est plus directe s'agissant des travailleurs immigrés, voire s'agissant des travailleurs nés en France mais issus de l'immigration.

Sarkozy et ses comparses ont largement commencé l'institutionnalisation de la chasse aux immigrés, le durcissement de leurs conditions d'existence. Mais, avec ou sans l'UMP, cette évolution sera poussée plus loin sous l'influence du Front national.

Il serait illusoire pour les travailleurs de penser que l'élection de Hollande et un gouvernement socialiste, avec ou sans Mélenchon et ses compagnons, puissent être une protection. Car si le gouvernement socialiste est amené à prendre des mesures appauvrissant les différentes catégories populaires et suscitant la colère dans leurs rangs, l'extrême droite aura un boulevard devant elle en tant qu'opposition. Et elle pourrait être tentée, dans son ensemble, avec sa direction ou par le biais de certaines de ses factions, de prolonger par des actes le discours anti-immigrés, anti-syndicats, anticommuniste. Certains pays de l'Est, avec la chasse aux Roms, jouent déjà les précurseurs de ce type d'évolution. Une évolution des choses dans ce sens-là, c'est-à-dire dans le sens de l'émergence de groupes d'extrême droite violents, dépend plus de l'évolution de la crise que de la stratégie choisie par les Le Pen, la « dédiabolisation » du Front national, réussie ou pas, par Marine Le Pen.

Nous n'en sommes pas encore là. Mais si la crise précipite l'évolution des choses, nous risquons d'y être rapidement. Et cela rend encore plus urgent la constitution d'une force capable de faire contrepoids.

Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas autour de Mélenchon que cela peut se constituer, même si Mélenchon continue à bénéficier du soutien du PCF.

Le jeu de Mélenchon

Pendant ces quelques semaines où la percée de Mélenchon dans les sondages a été fulgurante, il ne cachait pas une grande ambition. Dans une interview aux Échos du 19 avril, à la question sur l'éventualité d'une future carrière ministérielle sous la présidence de Hollande, il répondait avec superbe : « Je ne suis pas candidat pour être le Premier ministre de François Hollande, mais pour conquérir le pouvoir, tout le pouvoir ! »

À l'époque, il pouvait nourrir une vaste ambition, si ce n'est en espérant devancer Hollande au premier tour, du moins en imaginant incarner une semi-opposition, c'est-à-dire soutenir si besoin un gouvernement socialiste tout en n'y participant pas, de manière à ne pas assumer la responsabilité de mesures antiouvrières éventuelles.

Si un nouveau rebondissement de la crise financière obligeait le gouvernement socialiste à prendre des mesures semblables à celles qui ont été prises en Grèce par le gouvernement socialiste, Hollande pourrait être rapidement déconsidéré. À côté d'une opposition d'extrême droite, la bourgeoisie pourrait alors disposer d'une opposition de gauche susceptible de canaliser ou de calmer la colère ouvrière, voire le cas échéant de prendre la place de Hollande.

Les 11,10 % finalement obtenus par Mélenchon l'amèneront certainement à modérer son ambition. À quoi, au juste ? À obtenir du Parti socialiste un accord lui permettant d'obtenir assez de députés pour justifier un groupe parlementaire ?

Hollande ne lui fera pas ce cadeau avant le deuxième tour, pour ne pas effaroucher l'électorat de Bayrou. Mais, une fois élu, cela est parfaitement imaginable, quitte à ce que le Parti socialiste prenne aux écologistes les circonscriptions intéressantes et les donne au Front de gauche.

Les marchandages qui ne manqueront pas de s'ouvrir au lendemain de l'éventuelle élection de Hollande ne tarderont pas à apporter une réponse à cette question, et par la même occasion à une autre : est-ce que le Front de gauche résistera à une éventuelle tentative de Hollande de séparer Mélenchon du PCF ?

La classe ouvrière

Déjà face à la nécessité de défendre ses intérêts matériels, elle devra aussi se battre pour ses intérêts politiques

Pour les communistes révolutionnaires, les élections sont pendant la campagne électorale une occasion de s'exprimer, et après un thermomètre.

Le thermomètre du premier tour a indiqué une évolution politique qui n'est pas favorable à la classe ouvrière.

Le plus grave est l'image qu'il donne d'une classe ouvrière profondément déboussolée, dont une fraction significative a choisi, pour exprimer son mécontentement, le moyen le plus opposé à ses intérêts, le vote pour le Front national.

Que la droite dite parlementaire, les Sarkozy et compagnie, ait servi la soupe au Front national, en reprenant à son compte sa démagogie chauvine, xénophobe et anti-immigrés, est incontestable. Mais c'est dans l'ordre des choses.

Mais on ne peut que souligner la responsabilité écrasante de la gauche réformiste dans cette évolution. Même le quotidien Le Monde, si favorable au Parti socialiste, le rappelle : « En 1983, c'est le tournant de la rigueur, sous présidence socialiste, qui avait fait naître le phénomène Front national. » Depuis, d'alternance en alternance, avec à chaque fois son lot de déceptions, non seulement le Parti socialiste, avec la complicité du Parti communiste, a démoralisé la classe ouvrière, mais il a démoli tous les repères de classe.

Laissons aux politologues distingués la discussion vaseuse pour savoir si le vote pour Marine Le Pen est un vote d'adhésion ou un vote de colère. Le fait est qu'aucun parti sur la gauche de l'échiquier politique, disposant d'un certain crédit, n'était là pour que les travailleurs, les chômeurs, les plus pauvres, puissent exprimer leur colère et leur désarroi devant le chômage et la montée de la misère.

Le Parti communiste n'est plus depuis longtemps que l'ersatz d'un parti représentant vraiment les intérêts des travailleurs. Mais il était encore là. Cette fois-ci, il a choisi de disparaître derrière Mélenchon. Par sa couardise face à la bourgeoisie, par son alignement derrière le Parti socialiste, même lorsque celui-ci menait au gouvernement une politique de combat pour préserver les intérêts capitalistes au détriment des travailleurs, le Parti communiste porte une responsabilité écrasante dans la démoralisation des travailleurs, dans leur atomisation, dans leur dépolitisation et dans la perte de tout repère de classe.

Il y avait de quoi être écoeuré à écouter Mélenchon, le soir du premier tour, se vanter de son combat contre le Front national, alors qu'en tant qu'ancien ministre du gouvernement de la Gauche plurielle il a tout de même sa part de responsabilité dans la démoralisation et la perte de boussole qui constituent, avec la crise, le terreau sur lequel pousse le Front national !

Le seul contrepoids, lors des montées de l'extrême droite, a toujours été dans le passé la combativité de la classe ouvrière et sa conscience. Il en ira de même dans l'avenir. Aux attaques de la bourgeoisie sur le terrain matériel s'ajouteront les attaques sur le terrain politique. L'initiative de Sarkozy d'organiser sa propre manifestation le 1er Mai ne se veut pas seulement une démonstration de force. Son discours sur les « vrais travailleurs » est un appel à la mobilisation des milieux petits-bourgeois aux convictions de droite et d'extrême droite, mais aussi une attaque symbolique contre les organisations ouvrières, contre les syndicats.

La surenchère entre la droite et l'extrême droite les amènera à se poser, chacune, en « protecteur » du monde du travail, tout en intensifiant les attaques contre les organisations même réformistes qui agissent en son sein.

Seule une classe ouvrière mobilisée et consciente peut faire face aux attaques sur ces deux terrains. Mais, pour cela, elle a un besoin vital d'un parti qui représente ses intérêts politiques et matériels, un parti ouvrier révolutionnaire.

L'absence d'un véritable parti communiste est la principale faiblesse de la classe ouvrière. Le reconstruire est une urgence. Cela va être difficile, sur le champ de ruines laissé par les partis de la gauche réformiste ? Sans doute. Mais il n'y a pas d'autre voie. Et si la classe ouvrière retrouve la confiance en elle-même et la combativité, ce parti communiste pourra surgir très vite, à condition qu'il existe au moins une minorité qui en défende l'option, qui ne se décourage pas et qui transmette l'héritage politique nécessaire.

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