Russie : Farce électorale et claque pour le pouvoir07/12/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/12/une2262.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Farce électorale et claque pour le pouvoir

À en croire Medvedev, l'actuel président russe, les élections législatives du 4 décembre ont été « honnêtes, équitables et démocratiques ». Ce n'est évidemment pas l'avis des milliers de manifestants qui, à Moscou et Saint-Pétersbourg notamment, ont manifesté pour dénoncer les fraudes massives organisées par les autorités.

Ce n'est certes pas la première fois que le pouvoir se rend coupable de « bourrage des urnes » et de « nombreuses violations » des procédures de décompte des bulletins, pour reprendre les termes du rapport de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) dont des observateurs ont suivi le déroulement de ce scrutin. Et pour le constater il n'est nul besoin d'aller jusqu'en Tchétchénie, où le parti du pouvoir, Russie unie, se voit crédité de 97 % des voix. Cela grâce aux bons soins du dictateur local, le mafieux et intégriste musulman Kadyrov, qu'appuie le Kremlin, et qui le lui rend bien, on le voit.

Comme d'habitude, en maints endroits, les autorités ont déposé des liasses de bulletins pour Russie unie dans les urnes. Elles ont acheté les votes de pauvres et de SDF. Elles ont aussi fait pression, notamment dans l'administration et les grandes entreprises de province, pour que les gens cochent la case du bulletin de vote correspondant à Russie unie et en fournissent la preuve, en photographiant ensuite ce bulletin avec leur portable. Quant aux soldats, c'est encadrés par leurs sous-officiers qu'on les a fait voter, parfois sans même passer par l'isoloir.

Telle est la triste routine de la fameuse « démocratie » que les responsables politiques russes et leurs soutiens occidentaux avaient promise à la population lors de l'effondrement de l'Union soviétique, il y a juste vingt ans.

En revanche, s'il y a une nouveauté, elle tient à ce que des gens ordinaires, et pas seulement des militants, ont tenu à dénoncer ces pratiques, malgré la police russe antiémeute qui a procédé à des centaines d'arrestations.

L'autre nouveauté, même si depuis des mois les sondages le laissaient attendre, c'est que le parti du pouvoir perd 13 millions de suffrages, et sans doute plus en réalité si les fraudes n'avaient pas gommé l'ampleur du phénomène.

Alors que, dans la précédente Douma (Chambre des députés), Russie unie disposait d'une écrasante majorité, ayant obtenu 64,3 % des voix aux législatives de 2007, cette fois le parti de l'ancien président et, espère-t-il, futur président Poutine n'en comptabilise plus que 49,3 %. Cette chute de 15 points lui permet quand même, du fait d'un mode d'élection taillé sur mesure, d'obtenir 238 sièges sur 450, mais pas la majorité des deux tiers dont il disposait précédemment et qui est nécessaire pour remodeler la Constitution au gré des souhaits du Kremlin.

Pour cela, Russie unie sera obligée de compter sur les voix d'autres députés. Là aussi, l'achat de votes à la Douma est une pratique bien rodée. De plus, deux des partis que le pouvoir a autorisés à concourir, et surtout à obtenir des sièges, n'ont pas grand-chose à refuser à Poutine. Il s'agit, à l'extrême droite, du LDPR du nationaliste Jirinovski (56 sièges) et, au centre gauche, de Russie juste (64 députés), créée avec l'appui du Kremlin pour chasser sur les terres du KPRF, le Parti communiste.

Ce dernier, principal bénéficiaire du scrutin, passe de 57 à 92 députés. Il n'a de communiste que le nom et il n'a pas brillé par son opposition au pouvoir en place depuis la chute de l'URSS. Bien au contraire. Quand il ne le représente pas, avec ses gouverneurs de régions et ses maires de grandes villes, tous liés aux milieux d'affaires, il se borne à jouer le rôle d'une très timorée opposition de Sa Majesté. Mais, dans la mesure où ce parti évoque un passé soviétique sur les ruines duquel se sont hissés les politiciens actuellement au pouvoir, il recueille une certaine sympathie parmi les laissés pour compte, la grande majorité de la population et d'abord les retraités ainsi que les travailleurs, de la Russie dite « nouvelle ». Et puis, étant donné les liens bien connus du LDPR et de Russie juste avec le Kremlin, un nombre significatif d'électeurs a dû être tenté de voter pour le KPRF, au moins par défaut, afin de marquer leur rejet du pouvoir en place.

Ce rejet vise-t-il aussi Poutine, figure de proue et homme fort du régime, comme s'en inquiètent ouvertement ses partisans ? On en saura plus en mars prochain, lors de l'élection présidentielle. Mais d'ores et déjà il semble que la claque que les électeurs ont infligée à Russie unie était destinée, en bien des endroits, aux maires, gouverneurs, etc., issus de ce parti, à leur mépris pour la population travailleuse, à leur corruption qui s'étale au grand jour, au fait que la plupart d'entre eux sont aussi des hommes d'affaires, vus par beaucoup comme des voleurs.

Dans la Russie d'aujourd'hui, les inégalités sociales ne cessent de se creuser avec la bénédiction du pouvoir. Et, depuis 2008, ce pouvoir apparaît de plus en plus incapable de protéger le pays et sa population des répercussions de la crise mondiale, contrairement à ce qu'il prétend.

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