États-Unis : Il y a quarante ans, du 9 au 13 septembre 1971, la révolte de la prison d'Attica28/09/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/09/une2252.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : Il y a quarante ans, du 9 au 13 septembre 1971, la révolte de la prison d'Attica

Le 9 septembre 1971, dans l'État de New York, éclatait la révolte des détenus de la prison d'Attica aux États-Unis. Elle dura cinq jours et fut sauvagement réprimée, se concluant par la mort de 31 prisonniers et neuf gardiens, tous tués pendant l'assaut par une police armée jusqu'aux dents.

Il y a toujours eu des révoltes dans les prisons américaines. En 1920, mille six cents détenus s'étaient soulevés à la prison de Clinton, dans l'État de New York. Après 1950, il y eut une cinquantaine de soulèvements. Cela n'empêcha pas l'administration qui en avait la charge de se déclarer, en 1966, « fière, satisfaite et heureuse » de son système.

Mais, dès l'année suivante, en 1967, la prison de Saint-Quentin (Californie), avec ses quatre mille détenus, connut une émeute raciale. En 1968, une grève des détenus mobilisa les prisonniers noirs comme blancs et stoppa la production industrielle dans la prison. À l'automne 1970, des détenus de Long Island prenaient le contrôle de la maison d'arrêt et exigeaient la mise en liberté sur parole de 47 détenus. En novembre 1970, 2 400 prisonniers du pénitencier de Folsom (Californie) entamaient une grève de trois mois.

La chose nouvelle était que dans les prisons bien des détenus se disaient « révolutionnaires ». En effet, dans les années soixante, le mouvement des Noirs américains et l'enlisement des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam avaient conduit à une radicalisation politique. Au début des années soixante-dix, celle-ci touchait toutes les catégories de la population, et même les détenus. Un nouveau type de prisonnier apparut : le condamné de droit commun dont la conscience politique s'éveillait en prison. George Jackson en fut le meilleur représentant. Son livre racontant son évolution, Les Frères de Soledad, devint le livre de chevet de ceux qui soutenaient la lutte des Noirs américains.

Jackson avait fait dix ans de prison pour un vol évalué à 70 dollars et soutenait le mouvement radical des Panthères noires. Devenu un exemple à imiter, il savait sa vie menacée car l'État américain était alors résolu à décapiter l'aile radicale du mouvement noir. En août 1971, George Jackson fut tué dans le dos par un gardien de la prison de Saint-Quentin. Les autorités tentèrent de maquiller cet assassinat, mais la vérité, facile à deviner, déclencha une série d'émeutes dans plusieurs prisons. C'est à Attica que la révolte fut la plus profonde.

Là, 54 % des détenus étaient des Noirs mais 100 % des gardiens étaient blancs. Les prisonniers passaient 14 à 16 heures en cellule. Leur courrier était surveillé, leurs lectures contrôlées, ils voyaient leur famille derrière un grillage, les soins médicaux étaient quasi nuls et le régime des remises en liberté arbitraire. Le système de la peine négociée (75 % des incarcérations se faisaient sans procès) accentuait le sentiment d'injustice, car l'accusé plaidait coupable, qu'il le soit ou non, en échange d'une promesse de peine réduite... pas toujours effective.

Le système carcéral américain, comme partout, reflète les inégalités sociales. En 1969, pour une fraude fiscale d'environ 200 000 dollars, crime commis plutôt par des gens aisés, on risquait, au pire, sept mois de prison. En revanche, la peine de prison pour un cambriolage ayant rapporté en moyenne 321 dollars était de 33 mois. En outre, le fait d'être noir était une circonstance aggravante.

Malgré tout, un cours de sociologie donné à Attica devint un lieu de discussion pour les prisonniers sur les changements qu'ils souhaitaient. Ils organisèrent des manifestations et présentèrent des revendications modestes.

L'assassinat de George Jackson fit grandir la tension jusqu'à ce 9 septembre, où une partie des détenus s'empara d'une des cours de la prison et y retint quarante gardiens. Des observateurs, dont un journaliste du New York Times, furent invités par les détenus à visiter les lieux. Celui-ci écrivit : « L'harmonie raciale qui régnait parmi les prisonniers était stupéfiante. Cette cour de prison est le premier endroit que j'ai vu où il n'y avait aucun racisme. » Et un détenu noir lui déclara : « Je ne pensais pas que les Blancs s'y feraient. J'ai pleuré à l'idée que nous étions tous si proches. Tous unis. »

L'administration lanterna les prisonniers et, le 13 septembre, le gouverneur Rockefeller donna le feu vert à un assaut de la garde nationale, des gardiens de prison et de la police locale, armés de fusils automatiques, de mitraillettes et de gaz lacrymogènes. En un quart d'heure, 31 détenus et neuf gardiens furent tués. L'administration expliqua d'abord que ces derniers avaient été égorgés par les détenus, mais l'autopsie prouva qu'ils avaient été tués eux aussi par les rafales des policiers.

Ces événements n'empêchèrent pas d'autres mouvements dans les prisons et la création de comités de soutien, au point que les autorités judiciaires finirent par abandonner les peines de prison à perpétuité envisagées pour les détenus survivants de l'assaut.

Le président Nixon félicita Rockefeller pour sa décision. Les dirigeants américains, plutôt que de satisfaire des revendications élémentaires, avaient préféré sauver la face d'une administration pénitentiaire incapable, même au prix d'un massacre non seulement des détenus mais aussi des gardiens, unis dans le même mépris.

Des massacres de ce genre, l'impérialisme américain en avait commis d'autres, notamment au Viêt Nam, mais à Attica, il s'était montré capable d'en perpétrer aussi sur son propre sol.

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